lundi 12 mars 2012

Rhétorique de confort

Anticipant sur le printemps qui vient, fleurissent les belles promesses électorales...

François Hollande a proposé lors d'un meeting à Reims (Marne), jeudi 8 mars, que tous les centres hospitaliers "puissent être dotés d'un centre d'interruption de grossesse".

Cela, on se l'était bien promis jadis...

(Par ailleurs, le candidat socialiste a "rappelé qu'il voulait que l'IVG soit « remboursée à 100 % »" et annoncé "qu'il mettrait en place une fois élu, un « forfait mineure contraception » donnant un accès gratuit et anonyme à un médecin et à la contraception".)

Madame Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole du candidat-président, a trouvé cette proposition "un peu démagogique", en ajoutant : "Elle témoigne avant tout d'une méconnaissance du sujet". On emploie en général ce type d'arguments qui tuent lorsqu'on n'a pas grand chose à dire ou lorsqu'on a justement oublié ses fiches...

Il est vrai que monsieur Hollande a témoigné là d'une parfaite méconnaissance de l'art et de la manière dont il faut parler de ce sujet. Il aurait dû dire, ayant bien repassé les notes de ses expert(e)s, que l'on pratiquait trop d'avortements en France, et que, au vu des progrès dans le domaine de la contraception, ces avortements posaient un vrai problème. Après avoir donné quelques chiffres, il aurait dû comme (presque) tout le monde aborder la délicate question des "avortements de confort".

Modèle de divan tout confort.
Existe en plusieurs coloris.

Tous les amateurs de beau langage salueront en cette expression, "avortement de confort", une des trouvailles les plus heureuses de ces dernières années. L'alliance de deux mots auxquels la mémoire de la langue attache des tonalités opposées - disons, en gros, désagréable/agréable - lui confère un très discret parfum d'oxymore, fort apprécié ces temps-ci. En laissant se développer les arômes associés, on obtient une fragrance tenace.

Et tout simplement abjecte.

On ne s'étonnera donc pas que certains politiques aux nez fins aient repris cette expression pour parler de déremboursement de l'IVG, à commencer par ces fameuses "IVG de confort".

Cela sent un peu plus fort.

Je suppose que c'est par suite d'une hypersensibilité olfactive qu'on a pu entendre, le 6 mars, la journaliste Pascale Clark, de France Inter, sortir quelque peu de sa réserve professionnelle en arrivant à la fin d'un entretien avec monsieur Louis Aliot, vice-président du Front National. La question de l'IVG est abordée à partir de 5. 20 sur la vidéo qui suit.


"Cette expression est dégueulasse."


Un peu déconcerté par la sincérité de son interlocutrice, monsieur Aliot a cru avoir le dernier mot en lançant un infantile "C'est vous qui êtes dégueulasse, excusez-moi de vous le dire." Avec un tel sens de la répartie, ce monsieur a une belle carrière devant lui.

Auparavant, il avait reproché à Pascale Clark de n'avoir pas fait son travail en n'allant pas voir, dans le Figaro, ce "fameux article" où "c'est un professeur de médecine qui utilise le terme et non pas Louis Aliot"...

L'article en question - qui est loin d'être récent - est encore disponible sur le site Figaro-santé. Il date du 25 février 2009, est non signé et a reçu pour titre : De plus en plus d'avortements de «confort» .

Le chapeau annonce que "certains gynécologues-obstétriciens se détourneraient de cette pratique à cause des dérives constatées ces dernières années".

Dans le texte qui suit, sont attribués au docteur Grégoire Moutel - qui n'est pas professeur de médecine mais responsable du laboratoire d'éthique médicale de l'université Paris-Descartes - les propos suivants :

"Beaucoup de professionnels, qui ne sont pas du tout des militants pro-vie, changent aujourd'hui de regard après avoir trop vu de glissements sur la pratique. À l'origine, les indications d'un avortement impliquaient une détresse matérielle ou psychologique de la femme, elles sont aujourd'hui plus de l'ordre du confort, ce qui n'est pas dans l'esprit de la loi."

D'où, probablement, le choix du titre donné par la rédaction.

Caroline Politi, pour l'Express, a interrogé le docteur Moutel qui peut ainsi s'expliquer :

L'article a été fait en 2009, au moment des propositions de loi pour faciliter l'accès à l'IVG. J'expliquais que dans des cas extrêmement rares, les professionnels se trouvaient face à des cas de conscience. Par exemple, depuis l'allongement de 12 à 14 semaines de la durée légale de l'IVG, les gynécologues pouvaient voir lors de l'échographie du troisième mois un membre malformé. Cela ne rentre pas dans les critères d'interruption médicale de grossesse, mais certains parents, grâce à l'allongement du délai, faisaient le choix d'avorter. C'est cela que j'ai appelé « avortement de confort ». Mais il n'y a pas plus de 15 cas par an alors que dans l'article du Figaro, on fait passer mes propos pour une généralité.

(Le docteur dit qu'il a été "instrumentalisé", qu'il s'est "senti meurtri", et toutes ces sortes de choses désagréables, mais il dit aussi qu'au début de la polémique, il ne pensait pas réagir !)

A propos de l'expression dégueulasse qu'il a employée, il précise ceci :

Tout d'abord je tiens à préciser que ce n'est pas moi qui ai inventé ce terme. L'« IVG de confort » est issue de la littérature médicale anglo-saxonne.

Je ne suis pas familier de "la littérature médicale anglo-saxonne", mais je me méfie comme d'une épidémie de peste noire des faux-amis linguistiques. Par conséquent, supposant que notre bon docteur avait transposé en français le mot comfort, j'ai rendu une courte visite à mon vieux dictionnaire :
  1. state of being free from suffering, anxiety, pain, etc. ; contentment ; physical well-being.
  2. help or kindness to sb, who is suffering.
  3. personn or thing that bring relief or help.
Me fut-il répondu.

Et un bilingue en ligne, visité lui aussi, m'a renvoyé :
  1. aisance.
  2. confort.
  3. réconfort, consolation, soulagement.
De quoi se demander si formulation maladroite du docteur Moutel n'est pas à la lisière du contresens...

Il n'est pas impossible que ladite expression, suffisamment discréditée, disparaisse de notre horizon linguistique. Il sera sans doute beaucoup plus difficile de se débarrasser de l'idée fausse et stupide qu'elle recouvre : que les femmes en seraient venues à user de l'avortement comme moyen de contraception - madame Le Pen soutient même que deux femmes sur dix seraient dans ce cas.

Les contresens ineptes de ce genre ont toujours eu un bel avenir...

2 commentaires:

Marianne a dit…

Les 343 salopes de 1971 en sont l'exemple . Elles militaient juste pour que l'IVG soit remboursée .N'importe quoi .
C'est parfaitement immonde de revenir sur ce sujet en associant avortement et confort .

Guy M. a dit…

Nous sommes bien d'accord...

(Mais ce n'est pas si rare.)