jeudi 8 mars 2012

Pelerins indésirables chez Emmaüs

C'est déjà une idée plutôt bizarre que d'être travailleur sans papiers dans la France d'aujourd'hui...

Alors le zarbissime est atteint quand, pour faire respecter leurs droits, les travailleurs sans papiers tentent de s'organiser eux-mêmes.

Car réclamer le respect des droits humains, savez-vous, ce n'est pas une affaire pour les amateurs !

L'humanitaire a ses experts...
(Emmaüs, une nébuleuse d'associations,
infographie Le Monde, 2007.)

Mardi dernier, le CSP 59 - Comité des sans papiers du Nord - a occupé le local de AIDA - ce qui se déplie en Association Aide Demandeurs d'Asile -, en présentant deux exigences : la première était d'obtenir un bilan de la CODRESE (*) à laquelle participe AIDA/Emmaüs ; et la seconde de demander à la préfecture la reconnaissance des sans papiers organisés comme interlocuteurs à part entière.

Voici comment la presse locale, avec l'aide des responsables d'Emmaüs, a retranscrit ces revendications :

Selon Anne Saingier, présidente d'Emmaüs Nord Pas de Calais, les membres du Comité des sans-papiers 59, venus en nombre ce matin vers 11h dans le local lillois de l'association, demandent à être reçus par la préfecture. "Mais on ne peut rien pour eux", explique-t-elle.

Maligne, madame Saingier a cru bon de regretter "que la distribution des repas aux quelques 60 habitués de l'association ne puisse se faire dans des conditions ordinaires".

Précisons que, dans un article publié par le même Nord Éclair un peu plus tard, la perfidie de cette allusion avait été affinée :

« Le pire dans tout ça, c'est que ces sans-papiers ont bloqué ce midi la distribution de repas que l'on devait faire à 60 migrants », regrette Anne Saingier.

Alors que dans le premier articulet, notre bonne madame Saingier affirmait que les occupants "risqu[ai]ent d'être évacués", dans le second, elle confirmait : "oui, nous avons demandé à ce qu'ils soient évacués".

On ne sait pas trop à quelle heure a été posée cette demande auprès des autorités. Sur place, les observateurs n'ont constaté aucun mouvement significatif, à part, en début d'après-midi, l'arrivée d'un livreur de pizza. On peut supposer que la direction d'AIDA/Emmaüs a ainsi frugalement restauré ses forces avant de se lancer dans la bataille.

Un expresso à suivre, et au boulot !

Vers 19 h, deux huissiers ont fait une apparition pour signifier aux occupants l' avis d'expulsion... Mais "ces sans papiers" ont refusé de quitter les lieux et, comme le dit très joliment M. B. dans Nord Éclair, "le recours aux forces de l'ordre a dû être décidé"

(Ah bah, oui, obligé !)

À l'intérieur du local, tous les membres du collectif se sont assis et ont formé une chaîne. En guise de comité d'accueil pour la police, les sans-papiers ont multiplié les chants. À trois reprises, les agents leur ont demandé de quitter les lieux. Face à un non catégorique, il a fallu employer... la manière forte.

(Ah bah, oui, obligé !)

Il y a eu de nombreux blessés parmi les évacués, et notamment deux personnes hospitalisées en urgence au CHU de Lille.

Vers 22 h, les membres du CSP 59 encore valides ont organisé un défilé en direction de la place de la République.

Quant aux membres de la direction d'AIDA/Emmaüs, on n'en a pas de nouvelles.

Peut-être se sont-ils fait livrer des sushis...



(*) La CODRESE, c'est, pour décrypter l'acronyme approximatif, la "commission consultative départementale de réexamen des situations administratives des étrangers". Ce "machin" a été mis en place en préfecture, au mois de novembre 2007, avec pour but "de traiter le cas de sans papiers ne pouvant obtenir de titre de séjour parce qu’ils ne remplissaient pas totalement les critères législatifs et réglementaires nécessaires, mais qui pouvaient être considérés comme intégrés et insérés en France ou ne pouvaient retourner dans leur pays d’origine pour des raisons humanitaires ou de risques encourus". Il s'agissait du "recours ultime quand il n’y avait plus aucun espoir, aucune perspective de régularisation". En juin 2010, un appel à solidarité et soutien, signé par la LDH, le MRAP et le CSP59, constatait :

Aujourd’hui, la CODRESE aboutit, par ses règles et son fonctionnement à créer à nouveau une situation où les Sans Papiers n’ont plus aucune perspective de régularisation, alors qu’ils peuvent légitimement y prétendre.

On se demande si ce n'était pas son véritable but...

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