jeudi 9 décembre 2010

Le café diurétique de la gendarmerie

On se souvient que le 25 novembre, jadis jour de la sainte Catherine et de ses catherinettes, désormais institué journée de la jupe, monsieur Nicolas Sarkozy a été pris d'une envie urgente d'aller rassurer la "ruralité" dans les environs du Mayet-de-Montagne (Allier). Le programme prévu s'était alors déroulé "sans accroc", comme nous le rappelle Benoît Vitkine dans un article du Monde, qui revient sur un fait assez curieux survenu en marge de la visite présidentielle. Il indique que "300 à 400 représentants de la force publique" auraient été mobilisés pour "couvrir" le passage du président dans cette petite commune de moins de 2000 habitants.

Une rue de Mayet-de-Montagne, le 25 novembre 2010.
(Photo Benjamin Wright, La Semaine de l'Allier.)

L'article de Benoît Vitkine, mis en ligne hier, revient sur ce qui est arrivé, ce jour-là, à Frédéric Le Marrec, militant du syndicat SUD, qui sera retenu durant toute la visite du président dans les locaux de la gendarmerie. Le récit du principal intéressé y est largement confirmé par des recoupements avec des témoignages de "sources proches de la gendarmerie".

Educateur spécialisé dans un foyer pour adolescents du Mayet-de-Montagne, Frédéric Le Marrec prend son poste à 6 h 30, ce 25 novembre. A 9 h 30, il quitte le foyer en compagnie d'un autre militant pour rejoindre ses amis manifestants. Devant son lieu de travail, deux gendarmes l'attendent, qui le prient de les accompagner à la gendarmerie. Là, il est interrogé par deux fonctionnaires venus de Moulins au sujet d'un collage d'affiches en faveur du Nouveau Parti anticapitaliste, la nuit précédente. D'ordinaire, explique un policier consulté à ce sujet, "ce genre de dossiers, qui débouche au pire sur une contravention, est traité en moins d'une demi-heure".

Très vite, une fois réglée cette affaire de collage, "les gendarmes n'avaient plus grand-chose à me dire, raconte Frédéric Le Marrec. Et comme je n'étais pas officiellement en garde à vue, j'ai voulu m'en aller. Lorsque j'ai commencé à rassembler mes affaires, ils m'ont dit : 'On vous déconseille de partir'". Voulant "éviter tout incident", le militant prend son mal en patience. Au bout d'un moment, il reçoit cette mystérieuse confidence : "Le préfet vous en veut." Peu après 14 heures, Frédéric Le Marrec quitte la gendarmerie. L'hélicoptère de Nicolas Sarkozy a décollé quelques minutes auparavant.


Comme on peut le voir, tout cela semble s'être déroulé à la bonne franquette.

Pendant ce temps-là, toujours à la bonne franquette,
le président raconte que, tout petit, il était déjà grand.
(Photo Benjamin Wright, La Semaine de l'Allier.)

Frédéric Le Marrec, qui a su garder la tête froide, nous donne là un exemple bien intéressant d'application du principe de précaution dans le domaine sécuritaire. Et cet exemple est enrichi par le travail d'enquête du journaliste, qui a pu remonter à l'origine très probable de ces mesures. On peut ainsi apprendre que, le 24 novembre, lors d'une réunion préparatoire à la venue du président, en présence des responsables de la sécurité, monsieur Pierre Monzani, préfet de l'Allier, aurait nommément cité Frédéric Le Marrec, comme personne à surveiller, ajoutant :

"Si à 9 h 30 il va pisser, il faut que je le sache."

L'article ne précise pas si Frédéric Le Marrec est allé "pisser" ce matin-là, et à quelle heure...

Monsieur Pierre Monzani, avec cravate assortie.

En toute objectivité, Benoît Vitkine termine son article en donnant la parole à monsieur Pierre Monzani :

Le préfet dément avoir évoqué le cas de Frédéric Le Marrec lors de cette réunion préparatoire : "Je ne connais pas ce monsieur. De façon générale, ce serait contre-productif de désigner une cible particulière à mes troupes, puisque celles-ci doivent se concentrer sur tous les dangers potentiels." Selon lui, le militant "veut se faire de la publicité dans le milieu syndicaliste" et a été particulièrement bien traité pendant sa rétention à la gendarmerie : "Le café que lui ont servi les gendarmes devait être bon pour qu'il s'attarde autant à la gendarmerie."

Comme quoi l'humour préfectoral, ça ressemble beaucoup à la musique militaire.


PS: Pour ceux qui ne connaissent pas monsieur Monzani, on peut préciser qu'il n'est pas urologue, ainsi que pourrait le laisser croire certaine déclaration à lui attribuée, mais agrégé d'histoire, et énarque. Il a été notamment conseiller pour la sécurité au cabinet du Ministre d'État Charles Pasqua, en 1994 et 1995, et directeur du cabinet du Commissaire général au Plan, monsieur Henri Guaino, de 1995 à 1997. En 2006, il a pris la direction de l'INHES (Institut National des Hautes Études de Sécurité), qui est maintenant refondu en INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice). C'est, parait-il, un spécialiste reconnu et respecté en matière de sécurité, auteur de plusieurs articles et contributions sur les sujets de sécurité, de délinquance et de gestion de crise.

Enfin ceux qui désirent le voir et l'entendre pourront regarder cette amusante, et rassurante, vidéo de ses vœux à la presse, en janvier 2010, mise en ligne par la Semaine de l'Allier.

Amusante, car monsieur le préfet ne connait manifestement pas son texte et a bien du mal à s'y retrouver...

Et rassurante, car on peut se dire qu'il a bien fait de ne pas s'éterniser dans l'enseignement de l'histoire...

4 commentaires:

GdeC a dit…

cette information ne m'a pas échappé... et m'a hérissé le poil. Honte sur nous, qui ne savons pas empêcher ce genre de chose indigne d'un pays civilisé.

Guy M. a dit…

L'info mérite bien de ne pas passer inaperçue, même si la plainte déposée a peu de chance d'aboutir.

iGor a dit…

En cette époque de ouiquiliquesserie, les nouvelles que vous relayez sont précieuses. Ici pas besoin de secret, ni de menaces. La routine en quelque sorte. Enfin, je ne sais pas comment le dire avec clarté. Aurais mieux fait de me taire...

Guy M. a dit…

Un grand principe : ne jamais se taire...