mardi 21 décembre 2010

Du jour natal

Hier, pour mon anniversaire, j'ai eu le droit d'inviter quelques petit(e)s camarades de mon âge à un goûter. J'avais pensé organiser une pyjama party, mais je n'ai pas eu l'autorisation. Nous nous sommes quand même bien amusé(e)s car la fête a eu lieu dans l'igloo que j'ai construit au fond du jardin. Chocolat chaud, brioches et champagne frappé, pour faire passer. C'était grandiose, surtout éclairé à la graisse de phoque brûlant dans des photophores que j'avais fait venir tout spécialement de chez Nanoukéa, le Carrefour des esquimaux.

Un igloo à colorier.
(Attention à ne pas dépasser !)

Naître à une date proche du solstice d'hiver est une véritable malédiction, c'est connu. L'un des meilleurs exemples est ce fameux Jésus, malencontreusement né le 25 décembre, qui n'a pas fait de vieux os parmi nous, bien que né d'un peuple qui connut des Mathusalem.

(Je dois dire que, durant toute ma vie, j'ai beaucoup souffert que l'on confonde mes cadeaux d'anniversaire et mes cadeaux de Noël...)

Arriver à l'âge officiellement canonique qui est le mien à la veille d'une éclipse de lune se développant le jour même d'un solstice d'hiver n'est pas non plus très bon signe. On ne s'est pas privé de me le dire, vous savez comment sont les vieux...

A quoi j'ai régulièrement répondu que cela aurait pu être pire : j'aurais pu en ce jour atteindre ma "grande climatérique", celle que l'on a de bonnes raisons de situer à 63 ans.

Un cadeau d'anniversaire pour Quintus Cerellius.

La théorie des années climatériques(*) nous a été transmise par un certain Censorinus, dont on ne sait presque rien, dans un court traité, le Liber de die natali, écrit à l'occasion de l'anniversaire d'un certain Quintus Cerellius, dont on ne sait pas grand chose. Tous deux ont vécu au IIIe siècle de notre ère, et ils n'ont probablement pas survécu.

La section XIV, Distinction des âges de l'homme, suivant les opinions de plusieurs ; et des années climatériques, passe en revue plusieurs manières de ponctuer les diverses périodes de la vie d'un homme, en suivant les traditions transmise ou les bons auteurs. Le nombre sept, nombre des "astres errants" qui "gouvernent nos jours et nos vies", est bien sûr prépondérant.

Voici le point de vue d'Hippocrate :

Hippocrate le médecin divise en sept périodes la vie de l'homme : la première se termine à sept ans, la seconde à quatorze, la troisième à vingt-huit, la quatrième à trente-cinq, la cinquième à quarante-deux, la sixième à cinquante-six, et la septième va jusqu'au dernier jour de la vie.

Mais la préférence de Censorinus va à une division régulière :

Mais de tous les auteurs, ceux-là me semblent le plus dans le vrai, qui ont divisé par semaines de sept ans la vie de l'homme. Aussi bien est-ce après chaque période de sept années que la nature fait apparaître en nous quelques nouveaux caractères, ainsi que nous pouvons le voir dans l'élégie de Solon, où il est dit que dans la première semaine l'homme perd ses premières dents ; dans la seconde, son menton se garnit de poil follet ; dans la troisième, sa barbe pousse ; dans la quatrième, ses forces se développent ; dans la cinquième, il est mûr pour la procréation ; dans la sixième, il commence à mettre un frein à ses passions ; dans la septième, sa prudence et son langage sont à leur apogée ; dans la huitième, sa perfection se maintient ; et, suivant d'autres auteurs, ses yeux commencent à perdre de leur éclat ; dans la neuvième, affaiblissement de toutes ses facultés ; dans la dixième, maturité voisine de la mort.

Notre auteur abrège un peu, et arrive aux années critiques :

Il y a encore, sur ces semaines, bien des choses à lire dans les écrits des médecins et des philosophes. De tout cela il résulte que, comme dans les maladies chaque septième jour est périlleux et pour cela même appelé critique, de même, dans tout le cours de la vie humaine, chaque septième année a ses crises et ses dangers ; ce qui la fait nommer climatérique. Encore, parmi ces années critiques, en est-il qui sont regardées par les astrologues comme l'étant plus que les autres : les plus à craindre et à observer, selon eux, sont celles qui ferment chaque période de trois semaines, c'est-à-dire la vingt et unième année, la quarante-deuxième, la soixante-troisième, et enfin la quatre-vingt-quatrième, qui est celle où Staséas a fixé le terme de la vie humaine.

Tout cela serait limpide si ces auteurs anciens arrêtaient un peu de se chipoter entre eux...

Voilà-t-il pas que certains d'entre eux introduisent là-dedans le nombre neuf, nombre des Muses, qui gouvernent l'âme, alors que les planètes gouverneraient le corps. On en arrive ainsi, de bidouillage pythagoricien en bricolage platonicien, à déterminer trois années extrêmement critiques :

Plusieurs philosophes, mus par une autre idée, ont, à la faveur d'une distinction ingénieuse, dit que le nombre septénaire regardait le corps, et le novénaire l'âme ; que l'un, qui intéressait la santé du corps, était attribué à Apollon, et que l'autre l'était aux Muses, vu que les maladies de l'âme, qu'on appelle πάθη, sont souvent calmées et guéries par le secours de la musique. Aussi, distinguant trois années climatériques, ils ont fixé la première à quarante-neuf ans, la dernière à quatre-vingt-un, et la moyenne, celle qui tient des deux autres, à soixante-trois, d'autant qu'elle résulte de neuf semaines, ou de sept neuvaines d'années.

Il y aurait des raisons de se faire du souci.

Mais je viens d'apprendre que la date de la fin du monde avait été fixée au 21 décembre 2012.

Ça me rassure.



(*) Il me faut préciser, pour l'éventuel troll neuilléen de passage, que le mot "climatérique" n'a rien à voir avec le climat, ni son réchauffement, mais dérive d'un mot grec, κλιμακτηρικός, lui-même dérivé de κλιμακτήρ, échelon.

5 commentaires:

Chomp' a dit…

Un igloo dans le jardin ?
Habitat précaire même pas déclaré ??
Que fait la préfécture ?

Enfin ... bon noëlversaire quand-même ...

:-)

Floréale a dit…

Vous avez plutot l'air de bien vous porter pour votre age canonique. Et laissez donc tomber ces comptes d'apothicaires climatériques, vous savez bien que deux haruspices ne pouvaient pas se rencontrer sans se mettre à rigoler, c'est Cicéron qui le disait et c'est tout de meme autre chose que ce Censorius que pratiquement personne (y compris moi) ne connait ni d'Eve ni d'Adam.
Pensez donc, vous etes né en pleines Saturnales, c'était comme qui dirait Carnaval, chez les romains!
Bon anniversaire!

Guy M. a dit…

@ Chomp',

Merci !

(Mon igloo est bien déclaré... insalubre.)

@ Floréale,

Merci !

(Le texte de Censorinus est très amusant tout de même...)

olive a dit…

« Les maladies de l'âme [...] sont souvent calmées et guéries par le secours de la musique.»

Bon sang mais c'est bien sûr... Pathé-Marconi !

Je suis sûre que sans ton anniversaire, ces feignasses de jours d'hiver ne se lèveraient même pas pour rallonger. Tchin !

Guy M. a dit…

Tchin !