mardi 14 décembre 2010

Des gens dangereux

"Des goûts et des couleurs, il ne faut point disputer", disait ma grand-mère qui parfois s'exprimait comme les pages roses du petit Larousse (illustré).

Monsieur Amine Benalia-Brouch, jeune UMPiste issu de l'immigration, a eu le mauvais goût de vouloir se faire photographier en compagnie de monsieur Brice Hortefeux, mais il n'avait pas tout à fait la bonne couleur pour passer inaperçu. Il a récemment livré au public le récit des aventures cocasses qui lui sont arrivées depuis ce jour où il a découvert qu'il "ne correspond[ait] pas du tout au prototype"...

Je ne suis pas vraiment convaincu que ce jeune homme ait beaucoup de goût pour les couleurs de la vérité. Mais il attribue à monsieur Brice Hortefeux une confidence qui, si elle n'est pas vraie, semble assez bien trouvée. Un mois avant son procès, alors que notre collectionneur de photos-souvenirs s'étonnait que le ministre puisse être condamné pour injure raciale, celui-ci lui aurait glissé cette maxime de grande sagesse politique :

"Vous savez, là où il y a justice, il y a danger."

Belle invention, si c'en est une, que de placer cette sentence désabusée dans la bouche d'un des plus actifs pourfendeurs de l'illégalité !

D'autant plus que monsieur Hortefeux semble avoir une certaine propension à laisser s'échapper, dans ses propos, quelques éléments erratiques où l'on sent bien que veut s'exprimer un quelque chose de l'ordre de l'ineffable.

Bref, chez monsieur Hortefeux, qui peut aussi nous gratifier d'un joli lapsus occasionnel, "ça" cause toujours un peu trop...

Extrait d'un fichier d'empreintes génitales.
(Marcel Duchamp, Feuille de vigne femelle, 1950.)

Mais c'est lorsqu'il nous livre ses "réflexions" que notre ministre est le plus intéressant, car en ces circonstances les mots qu'il laisse aller comme en échappement libre viennent alourdir de sens les expressions plus ou moins convenues, mais déjà souvent contestables, du discours politicien. Nous venons d'en avoir un bon exemple.

Ayant à s'exprimer sur les peines de prison ferme prononcées par le tribunal de Bobigny à l'encontre des sept policiers "menteurs" et sur la manifestation de protestation de deux cents de leurs collègues devant le palais de justice, monsieur Hortefeux a tenu ces propos :

"Sans naturellement méconnaître la nature des faits qui ont été reprochés aux policiers, ce jugement, dans la mesure où il condamne chacun des sept fonctionnaires à une peine de prison ferme, peut légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné. Notre société ne doit pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire."

La première phrase aurait été largement suffisante pour que l'on comprenne la pensée du ministre de l'Intérieur, et que l'on s'interroge sur ce qui serait, en ce cas, proportionné au sens de monsieur Hortefeux (*)...

Mais il a tenu à ajouter cette considération générale:

"Notre société ne doit pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire."

Certes, dans son vocabulaire de porte-flingue tireur d'élite, le ministre de l'Intérieur n'entend donner qu'une n-ième mouture de son programme sécuritaire à tolérance zéro. Mais il nous laisse aussi entendre des choses plus inquiétantes. En opposant "les délinquants et les criminels" aux sept policiers condamnés à des peines de prison ferme, il semble que pour lui aucun policier ne puisse être "légitimement" considéré comme délinquant ou criminel, et, par conséquent, mis "hors d’état de nuire".

Mais il y a peut-être là une autre vérité qui affleure dans les paroles du ministre. En mettant "hors d’état de nuire" des policiers déviants et maladroits - puisqu'ils se sont fait prendre -, "notre société" se tromperait de "cible" en se privant, pour des broutilles, de précieux auxiliaires qui, privés de leur capacité de nuisance - ou encore de la possibilité qu'on leur octroie d'exercer la violence légale -, perdraient toute utilité sociale.

Quel gâchis, n'est-ce pas ?

Selon certains, "notre société", pourtant régie selon les grands principes de cette vieille chose distinguée et de bon goût qu'on nomme "démocratie", aurait tout à gagner si l'on pouvait continuer, comme on le fait déjà, de dire :

"Vous savez, là où il y a police, il y a danger."


* Un sévère avertissement disciplinaire, un blâme réglementaire à la Coluche ou ce genre, lui auraient probablement semblé plus convenables pour des policiers qui ont produit de manière délibérée un faux procès-verbal sur un accident provoqué par un des leurs, et ont ainsi fait accuser un innocent, tabassé copieusement lors de sa garde à vue, l'exposant à une peine de réclusion à perpétuité.

2 commentaires:

Alunk a dit…

Dans la seconde phrase d'hortefeux, je lis un splendide lapsus, qui me glace le dos: il ne faut pas mettre hors d'état de NUIRE les policiers. Ils ne sont plus gardiens de la paix, mais agents de nuisance.
Bon je ne suis pas naïf au point de prendre nos flics pour des bisounours, mais rarement le cynisme politique n'a autant transpiré.

Guy M. a dit…

C'est un peu ce que je voulais suggérer. Ce qui parle dans ces mots "échappés" est une forme inquiétante de cynisme politique.

Inquiétante, parce bien connue historiquement.