lundi 2 novembre 2009

Douce France

Ce jour est un très grand jour pour tous ceux et toutes celles qui, à l'exemple de monsieur Frédéric Lefebvre, ne peuvent prendre leur douche sans fredonner "Douce France-heu / Cher pays de mon enfance-heu" en plaçant bien les accents sur les "e" muets pour faire plus martial.

Quasiment un jour de gloire: je les soupçonne d'avoir pour l'occasion gargouillé la Marseillaise en se brossant les dents.

Car enfin s'ouvre le grand débat sur l'identité nationale, que monsieur Eric Besson a su lancer, et qu'il saura manipuler.

A l'ouverture du site dédié au grand débat,
monsieur Besson vous accueille...
(Ne cliquez pas, je n'ai pas mis sa vidéo.)


En terminant son article de Politis, Denis Sieffert remarque qu'en se référant à cette chansonnette, qui fut créée par Charles Trenet en 1943, "Frédéric Lefèbvre, porte-parole de l’UMP, ne se trompe ni de symbole ni d’époque".

Drôle d'époque, où après avoir été démobilisé, le fada de Narbonne est remonté à Paris pour continuer sa carrière de gloire nationale. Mis en cause par un torche-cul collaborationniste qui prétendit que "Trenet" n'était qu'un pseudonyme, anagramme de "Netter", le chanteur apporta aux autorités une pile d'extraits de naissance permettant de remonter quatre générations, et prouva ainsi qu'il n'était qu'un "français innocent" (pour reprendre une célèbre ignoble périphrase). Il chanta aux Folies-Bergère ou à la Gaieté parisienne. Dans le public, des officiers et des soldats des troupes d'occupation n'avaient aucun scrupule à reprendre avec le public les vers gentillets de Douce France...

En 1943, notre bon Charles a accepté d'aller chanter pour les prisonniers français en Allemagne, comme Piaf et Chevalier et d'autres ont fait. On nous dit qu'alors, il se faisait un point d'honneur à ne pas parler allemand, alors qu'il maniait couramment cette langue, et qu'il refusait toujours de participer aux soirées d'après spectacles afin de prendre clairement ses distances avec l'occupant.

Il a peut-être cru que c'était là montrer du courage...

A cette époque, des hommes et des femmes qui atteignaient comme lui une trentaine d'années, avaient adopté une attitude beaucoup moins ambiguë, et me semble-t-il, beaucoup plus courageuse.

Pour le dire en douceur...

Le chantre de la Douce France
en pleine opération séduction.

Il y a donc de bonnes raisons pour choisir la chanson de Charles Trenet pour parler de notre identité franchouillarde.

On peut cependant se demander pourquoi monsieur Frédéric Lefebvre, s'il tenait tant à évoquer la "douce France", n'a pas plutôt choisi une occurrence beaucoup plus prestigieuse de cette expression passe-partout dans notre culture nationale.

Il aurait pu, par exemple, nous parler de la "France dulce", si souvent invoquée dans notre Chanson de Roland , grand texte fondateur de notre identité...

Souvenons-nous:

Cumpainz Rollant, l'olifan car sunez.
Si l'orrat Carles, ferat l'ost returner,

Succurat nos lis reis od sun barnet.
Respunt Rollans: Ne placet damne Deu
Que mi parent pur mei seient blasmet,

Ne France dulce ja chedet en viltet !
Einz i ferrai de Durendal asez,
Ma bone espee que ai ceint al costet,
Tut en verrez le brant ensanglentet.


C'est tout de même moins gnangnan que du Charles Trenet.

Et puis tous ces combats contre les Sarrasins, ces "Auvergnats" que Charles Martel avait déjà aplati comme des crêpes à Poitiers, cela aurait pu faire plaisir à monsieur Hortefeux...

Folio n°1 du manuscrit d'Oxford.
(Existe aussi en traduction et en bande dessinée.)

Beaucoup d'entre nous ne peuvent employer cette expression sans y ajouter le condiment d'une amère ironie...

Cela semble être le cas d'Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en philosophie et sciences politiques à l’Université d’Évry-Val-d’Essonne, qui a dirigé le livre Douce France : rafles, rétentions, expulsions (Seuil / RESF). Et il est probable que cette ironie est partagée par les différents contributeurs: Marc Bernardot, professeur de sociologie, Alain Brossat, professeur de philosophie, Armando Cote, psychanalyste, Jérôme Valluy, maître de conférences, Nicolas Ferran, permanent de la Cimade, Serge Slama, maître de conférences, Serge Portelli, magistrat, Seloua Luste Boulbina, chercheuse associée, Claire Rodier, chargée d’étude au Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI).

Ce livre, dont vous pouvez lire l'introduction et consulter la table des matières sur le site du réseau Terra, sera présenté le vendredi 6 novembre au cours d'une rencontre-débat organisée à la librairie coopérative E.D.M.P., 8 impasse Crozatier, Paris 12ème (métro Reuilly-Diderot), à 19h. Pour le buffet qui suivra le débat, il est indispensable de s'inscrire en téléphonant au 01 44 68 04 18.

Je vais en reparler un de ces jours...
(Je ne compte pas sur monsieur Frédéric Lefebvre pour le faire)

9 commentaires:

Marianne a dit…

Cette couteuse et vicieuse initiative de redéfinition de la nationalité française va faire ressortir les attitudes et propos les plus nauséabonds des supposés français de souche.
Autant être français il y a quarante ans me permettait d'être superbement accueillie dans le monde , autant aujourd'hui les critiques et colères sont exprimées lorsque je dis être française surtout en Afrique .
Lefevre fan de Trenet tout en fustigeant l' Europe , rien ne nous sera épargné , douce France triste sir .

Guy M. a dit…

Les "propos les plus nauséabonds des supposés français de souche" n'avaient pas besoin de cette tribune ministérielle, en effet. Il suffit de se plonger dans les commentaires laissés au pied des articles de la presse en ligne...

Pour s'avouer Français à l'étranger, il faut maintenant un grand sens de l'autodérision...

peterpane a dit…

Les Africains ne sont pas plus sectaires que d'autres et savent bien faire la différence entre la politique du gouvernement français et les citoyens français. Ayant passé six semaines au Burkina cet été, j'ai souvent entendu des critiques à l'égard de Sarkozy et de ses prédécesseurs, mais pas à mon encontre. Au contraire, j'ai été accueillie à bras ouverts.
C'est un peu comme la différence que je fais entre un voisin juif et la politique sionniste d'Israel.

Pour finir, peux-tu nous tenir au courant de la date que notre cher préfet de l'Eure nous proposera pour débattre ? Même si je pense que ce débat est une vaste fumisterie dangereuse, je suis quand même intéressée. Ceci s'appelle la vigilance. Nous ne pouvons parler qu'en connaissance de cause.

Bises à tous les citoyens du monde.

Guy M. a dit…

Mais qui pourrait émettre des critiques à ton encontre ?

(Ceci dit, cinq ou dix minutes de discussion suffisent à établir la distinction, je crois.)

Je ne sais pas ce qui est prévu dans l'Eure. Les préfectures ont dû recevoir des instructions dans la journée d'hier, alors ça ne saurait tarder.

Marianne a dit…

@Peterpan Je n'ai jamais eu de problèmes à titre personnel ni au Burkina , ni au Mali mais j'ai constaté la dégradation de l'image de la France dans ces pays sur ces dernières années . Loin de moi l'idée de dire que les africains sont sectaires.

peterpane a dit…

@Marianne
Je ne sais si l'image de la France se dégrade ou si elle a toujours été dégradée. Pas un jour sans que la presse burkinabé s'en donne à coeur joie contre Sarkozy et la Francafrique. Qu'il est bon d'ailleurs d'entendre son ironie à l'encontre de notre chef vénéré...

JBB a dit…

Je ne connaissais pas l'itinéraire de Trénet, mais sa musique m'a toujours filé des boutons. Au moins, maintenant, je sais pourquoi…

Guy M. a dit…

J'ai toujours trouvé ses mélodies entêtantes (inutile de mentionner les paroles d'une niaiserie incommensurable). Tu pars le matin avec "La mer", et tu te couches avec, même si tu rentres d'un concert anarcho-punk ukrainiens...

JBB a dit…

Ça doit à cause du ressac, ça…