mercredi 11 novembre 2009

Walter, toujours en résistance

Il y a bien peu de chances pour que le film de Gilles Perret, Walter, retour en résistance, soit largement programmé dans les classes de lycée, au cours de ces séances consacrées à l'Education civique, juridique et sociale, où pourtant il aurait pleinement sa place: le retour prévisible des fondamentaux bien pensants de l'identité nationale dans les établissements scolaires risque de rendre la chose difficile.

Mais on peut toujours espérer: un certain nombre d'enseignants savent encore conjuguer le verbe "résister" au présent.

Sortie le 4 novembre,
dans moins de 30 salles sur le territoire national.
Pour organiser une projection,
prendre contact via le site officiel.

Walter, retour en résistance, trace le portrait de Walter Bassan, résistant communiste de Haute-Savoie, ancien déporté de Dachau, et toujours debout.

Et toujours en résistance.

Gilles Perret ne se contente pas de "mettre en boîte" les souvenirs d'un vieux monsieur de 83 ans qui "a fait la résistance", il nous montre surtout ce vieux monsieur, ici et maintenant, plongé dans le monde dans lequel nous, qui n'avons pas son passé, vivons le même présent que lui.

Cet "ici et maintenant", c'est celui d'une France dirigée par un président, monsieur Nicolas Sarkozy, qui est venu, peu avant le second tour des élections qui l'ont porté au pouvoir, se réclamer symboliquement de l'héritage de la Résistance, au plateau des Glières.

En promettant de venir s'y ressourcer chaque année.

C'est justement cet héritage que lui refusent un certain nombre de vétérans de la résistance, et non des moindres, demeurés fidèles aux principes du programme adopté dans la clandestinité par le Conseil national de la Résistance, le 15 mars 1944.

Lors du soixantième anniversaire de son adoption, on pouvait considérer ce programme comme bien menacé, et ce constat avait conduit Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant et Maurice Voutey a lancer leur Appel des Résistants .

Après l'élection du président Sarkozy, l'article de Denis Kessler, "l'intello qui a changé le patronat", publié en octobre 2007 dans Challenges, ne laisse aucun doute:

Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !

Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie.

Plus que jamais, l'Appel est d'actualité.

Le voici, lu par Stéphane Hessel, au cours d'une manifestation, à Caen, le 5 juin 2004.




Je pense que c'est dans ce contexte, et par conséquent à cette hauteur-là, qu'il faut voir le film de Gilles Perret.

Bien sûr, on peut feindre de ne pas y voir une vigoureuse dénonciation de cette captation politicienne de l'héritage de la Résistance.

C'est le cas de monsieur Lionel Tardy, député UMP de la Haute-Savoie, qui réagit, dans la mesure de ses moyens, sur son blogue. Etouffé par son indignation, il dénonce surtout une opération de "propagande de gauche"... Il aurait pu carrément parler de "propagande de type moscoutaire", comme au bon vieux temps.

Jacques Mandelbaum n'est pas député UMP, mais critique cinématographique depuis une petite quinzaine d'années dans les colonnes du quotidien Le Monde. Il donne lui aussi sa réaction sous le titre, assez énigmatique, "Walter, retour en résistance" : du nazisme au sarkozysme en passant par la résistance.

Sa critique insiste beaucoup sur deux séquences du film, qui lui font conclure:

Ces deux passages, par surcroît mis en avant dans la promotion du film (dossier et communiqués de presse), se retournent in fine* contre celui-ci. Car un propos aussi grave et délicat que le sien requiert une approche qui soit intellectuellement et cinématographiquement irréprochable.

On lui accordera que ces deux passages, et le film tout entier, ne sont pas irréprochables au regard des canons de la cinématographie: quand on tourne un film en indépendant, même avec une subvention du Conseil Régional, on ne fait pas nécessairement du mauvais travail, mais on ne fait pas non plus une réplique de Home.

Ce qui semble curieux, c'est que rien dans le texte de notre critique ne vient étayer cette allusion à une qualité cinématographique non irréprochable...

Mais plus intéressant est le reproche de malhonnêteté intellectuelle concernant ces deux séquences.

La première est la présence de Bernard Accoyer, député UMP de la première circonscription de Haute-Savoie et président de l'assemblée nationale, à l'inauguration du Musée de la résistance de Morette. Alpagué par Gilles Perret à la sortie de la cérémonie, il se voit mis en demeure de répondre au débotté à un argumentaire qui ne cesse de mettre en rapport les valeurs de la résistance et leur trahison par la politique gouvernementale. Pris au dépourvu par cette attaque frontale, dont la gravité aurait de fait nécessité une préparation et un cadre adéquats, il clôt rapidement l'entretien.

Je n'ai pas dû voir le même film... Car en lieu et place d'un député "alpagué" et "mis en demeure", j'ai vu un élu, assez satisfait de lui-même et de l'état du monde, prendre la pose pour un entretien, au sortir d'une salle où il vient de lire un discours. Je l'ai entendu tenter de répondre, dans l'habituel langage consensuel des parlementaires, à des questions clairement énoncées et non pas à un vicieux "argumentaire". Il s'agissait bien d'une "attaque frontale", menée avec une certaine insistance et une indéniable conviction, mais il me semble que faire face à ce genre de situation "au débotté" doit faire partie de la routine quotidienne du métier de politicien, sans qu'il soit besoin de "préparation" et de "cadre" adaptés.

Jacques Mandelbaum poursuit:

Quelques minutes plus tard, [Bernard Accoyer] revient vers Gilles Perret, dont la caméra est tournée vers le sol mais le micro toujours ouvert. Pour lui déclarer qu'il considère ce rapprochement comme un amalgame abusif, et lui signifier qu'il refuse d'apparaître dans le film.

Notre critique est là un peu trop elliptique. Il omet de dire que le retour de monsieur Bernard Accoyer a surtout pour but de noter le nom de Gilles Perret, et de lui adresser des menaces à peine voilées...

Et de conclure sur cette séquence:

(...) [la méthode] prend la personne en otage**, avant de faire passer sa liberté d'exercer son droit à l'image pour un acte de censure.

La seconde séquence incriminée est la suivante:



18 mars 2008, plateau des Glières.

Parlant de l'image donnée en la circonstance par monsieur Nicolas Sarkozy, notre critique écrit:

On peut évidemment gloser sur cette réaction, juger en la circonstance l'humour déplacé et la tenue présidentielle relâchée. De là à en faire un argument politique à charge, il y a tout de même un pas à franchir.

Je crois que Jacques Mandelbaum se trompe lourdement. Gilles Perret me semble avoir une autre conception de l'argument politique que celle qu'il lui attribue.

Ces images n'ont été ni volées, ni manipulées. Gilles Perret explique, dans un entretien avec JBB d'Article XI, qu'il s'est contenté de faire une centaine de mètres et de continuer à filmer le président, sans se cacher le moins du monde.

Il nous les livre de manière brute. Et elles parlent d'elles-mêmes.

J'écoute ce qu'elles me disent de ce président qui vient sur le plateau des Glières chercher l'adoubement des morts de la Résistance.

Tout en constatant que certains des survivants le lui refusent.



* J'aime beaucoup ce "in fine", ça fait classe... Et pas prétentieux du tout.

** Parler de "prise d'otage" ici est d'un à-propos confondant...

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