lundi 16 novembre 2009

Grands commis et petits soldats

En conclusion de la circulaire confiant aux préfets l'organisation de son Grand Débat, monsieur Eric Besson, actuel ministre de l'Identité Nationale et des Expulsions qui vont avec, écrit:

Je mesure la charge actuelle des travaux qui vous sont actuellement confiés par le Gouvernement, mais je sais aussi pouvoir compter sur votre engagement personnel concernant une question qui se situe aux origines mêmes de la création du corps préfectoral.

Et il a ajouté gentiment, de sa propre main:

Par avance, merci pour votre mobilisation.
Bien cordialement à vous

Et il a signé.

Il y a beaucoup de courtoisie chez cet homme-là,
mais il faut le connaître, ou être préfet.


Je n'ai pas entendu parler du moindre signe de mécontentement de la part d'un préfet en voyant arriver cette circulaire lui mettant sur le dos un travail supplémentaire qui n'est, en somme, qu'un travail de préparation idéologique de ses administrés en vue d'une élection. Tous, semble-t-il, se sont montrés prêts pour la "mobilisation" demandée pour organiser les réunions sur cette fameuse "question qui se situe aux origines mêmes de la création du corps préfectoral."

Les destinataires de la circulaires ont probablement compris tout de suite ce que voulait leur signifier monsieur Besson en faisant cette allusion "aux origines mêmes de la création de corps préfectoral".

Comme je ne suis pas préfet, et comme mon riche carnet d'adresses ne contient aucun nom de préfet ou préfète, je suis bien embarrassé.

J'ai donc retrouvé que le corps préfectoral a été créé par la loi concernant la division du territoire de la République et l'administration, promulguée le 28 pluviôse an VIII, soit le 17 février 1800, Napoléon Bonaparte étant consul. Il ne semble pas que la question de l'Identité Nationale ait été à la base des préoccupations du premier Consul. A cette date, Napoléon devait déjà percer sous Bonaparte, bien que notre bon Victor Hugo place la chose un peu plus tard.

Il va sans dire que leur rôle était surtout d'être les exécutants des décisions ministérielles. Mais le rapporteur de la loi, Jean-Antoine Chaptal présenta les préfets comme devant assurer la transmission de "la loi et [d]es ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique". Chaptal avait la métaphore scientifique...

Il est aussi l'inventeur de la chaptalisation des vins.
(Image dédiée aux amateurs de rosé.)

La troupe des petits soldats du consul Bonaparte a survécu plus de deux siècles, et si leur conductivité au "fluide électrique" n'est plus évoquée parmi leurs indispensables qualités, leur dévouement, sans états d'âme, à leur mission de représentants de l'Etat et du gouvernement n'a jamais été remise en cause.

On peu se demander, avec Alain Brossat*, si le "paradigme Papon", "ce profil de serviteur de l'État méthodique, ambitieux, dépourvu d'inhibitions morales, convaincu en toutes circonstances du bien-fondé de la 'mission de service public' que lui a assigné l'autorité supérieure", n'est pas une "figure de l'avenir"...

C'est même une condition minimale à la mise en place de la réforme de l’administration territoriale de l’État, présentée aujourd'hui par monsieur François Fillon.

C'est-y pas plus simple comme ça.
La réforme résumée par le fidèle Figaro.


Ce schéma, qui illustre un article signé Olivier Auguste, montre bien à monsieur Qui-c'est-qui-paye et à madame Combien-ça-coûte, à quel point il y avait trop de fonctionnaires, et il est fait pour cela.

Il montre aussi comment vont être durcis les liens hiérarchiques autour des préfets.

A tel point que l'on se demande si un "grand commis de l'État", avec toutes les qualités rappelées plus haut, suffira à la tâche, et si l'idéal ne serait pas de placer à ces postes des clones du chef de l'État.



* "L'Etat, c'est lui !" Le préfet, homme-orchestre, dans Douce France (Le Seuil/RESF, 2009)

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