mercredi 28 octobre 2009

Pièces d'identité nationale

Olivia Samuel, démographe et enseignante-chercheuse à l'université de Versailles-Saint-Quentin, a codirigé une étude qui a été publiée par l'INED (Institut national des études démographiques) sous le titre En quête d'appartenances. Ce livre est le résultat d'une enquête qui a été conduite auprès de 10 000 personnes, décrite ainsi dans la "présentation de l'éditeur":

Réalisée en 2003 par l'Insee et ses partenaires, l'enquête Histoire de vie a pour objet central la quête des appartenances dans laquelle sont engagés les acteurs sociaux. L'ouvrage explore les parcours individuels à travers différents registres identitaires : le territoire, la famille, l'appartenance sociale, la conjugalité, l'activité professionnelle, l'engagement politique et religieux, les langues parlées, mais aussi le handicap ou la maladie. Sociologues, démographes, économistes, géographes, statisticiens offrent ici leurs points de vue en se démarquant des classifications traditionnelles, et intègrent une dimension très novatrice de l'enquête confrontant les conditions objectives, d'existence des personnes au regard subjectif que celles-ci portent sur elles-mêmes. Cette enquête est la première en France qui permet de cerner, par des données chiffrées, les multiples composantes de l'identité individuelle.

La brillante idée de monsieur Besson "de lancer un grand débat sur les valeurs de l'identité nationale" a valu à Olivia Samuel les honneurs d'un entretien avec Dorian Chotard, journaliste du Monde qui lui permet d'éclairer quelques pistes de réflexion sur la thématique identitaire mise au menu des mois à venir...

J'ai pourtant été étonné de cet élément de réponse à la question "L'identité est-elle un sujet tabou ?":

Dans la vie de tous les jours, je ne pense pas que les gens se posent par eux-mêmes des questions d'identité.

Peut-être est-ce ainsi que les hommes vivent...

Un pavé à mettre dans le panier de monsieur Besson...

Je dois dire que je ne me reconnais guère dans cette remarque.

Au contraire.

Car, comme tous ceux qui n'ont pu se résoudre à ne pas résoudre les grands problèmes qui se sont posés à eux au sortir de l'enfance, j'en suis encore à patauger dans la mélasse du "que suis-je ?" et du "qui suis-je ?", toujours soucieux de définir et de redéfinir à qui ou quoi je peux m'identifier, et de qui ou quoi je dois me singulariser pour tenter, au moins, de rester identique à moi-même.

Officiellement, ainsi que la plupart de mes contemporains dans les pays développés, j'ai fait établir des"papiers d'identité" à mon nom quand il est apparu que je pourrais en avoir besoin. Ne m'étant éloigné de ma plaine natale que très tardivement, ma première "carte nationale d'identité" date de la fin des années 1960.

J'acceptai volontiers de rentrer dans les cases en répondant aux questions du formulaire de demande que remplissait le secrétaire de la mairie de mon village. Mais cette brute républicaine, qui servait aussi de "maître d'école", fut assez surpris d'entendre son ancien élève trop timide refuser avec une certaine fermeté de le voir inscrire "Néant" sur la ligne des "signes particuliers". A ma demande, il écrivit: "cicatrice lèvre supérieure". Cette singularité m'évitait de me fondre dans la masse du néant...

Photos d'identité de Raymond Queneau
en train de se singulariser.


Cette "carte nationale d'identité" n'avait strictement rien à voir avec une carte d'"identité nationale", et pourtant elle servit, une fois, de prétexte à une prise de conscience de cette "identité"-là.

Ma belle carte d'identité jaunasse à deux volets était ornée d'une superbe photographie dite "d'identité" dont j'avais confié la réalisation au photographe installé au chef lieu de mon canton. Cet honnête artisan, grand tamiseur d'éclairages et adoucisseur de contours, savait modeler la lumière autour des visages et ne m'avait pas raté: les studios Harcourt n'auraient pas fait mieux, tout en me coûtant beaucoup plus cher.

Quelques années plus tard, le document ainsi illustré devait encore attester de mon identité...

Ce fait ne sauta pas aux yeux du policier belge qui contrôla mes "pièces d'identité" dans le train qui me menait à Copenhague.

Comparé à la photo bien léchée de la carte que je lui proposais, j'avais une allure d'ours mal léché, ayant laissé libre pousse à toutes les pilosités qui voulaient bien se développer en désordre sur mes joues, mon menton et mon cuir chevelu. Ma barbe était irrégulière et mal répartie, et mon cheveu, comme celui de monsieur Frédéric Lefebvre, avait "tendance à graisser", pour reprendre la discrète expression de mon capilliculteur.

Après avoir froncé les sourcils, dit que j'étais méconnaissable et râlé autant que faire se pouvait sans déclencher d'incident diplomatique, mon policier belge me rendit ma carte en disant:

"Ah ! On voit bien que vous êtes Français, hein..."

C'était la première fois que l'on faisait directement allusion à une si évidente et si remarquable "identité nationale".

Illustration géométrique d'une célèbre identité remarquable.

6 commentaires:

JBB a dit…

Très joli billet, chapeau bas :-)

Cette identité-là, celle du signe particulier et du douanier qui te regarde avec suspicion, j'y adhère aussi volontiers. La France vue dans l'oeil d'un douanier belge, c'est peut-être la seule qui vaille…

Guy M. a dit…

Voyons, voyons, tu es trop bon. Et il faut toujours garder son chapeau.

"... la seule qui vaille", j'en suis presque persuadé.

myriam a dit…

C'est bien aussi, le "néant"... Je viens de vérifier avec déception que cette mention de signes particuliers n'est plus mentionnée sur ma jolie carte (nationale d'identitée) bleue... Pourtant cela m'amusait beaucoup qu'il y soit encore écrit "néant". Rien que pour voir la tête des douaniers justement. (-"oui, c'est vous, mais..." -"quoi, quoi?")

Tu t'étais volontairement éclaté la lèvre pour te singulariser?

Et merci pour ton illustration... Encore une de ces choses apprises par coeur sans les comprendre pour avoir la paix et pouvoir penser tranquillement à autre chose sans se faire remarquer!!

Guy M. a dit…

Presque personne n'avait de "signes particuliers", à l'époque...

Cette mention de signalement a disparu maintenant, en attente de données biométriques plus fiables.

(L'histoire de ma cicatrice est forcément trop importante pour être bloguée...)

myriam a dit…

Données biométriques plus fiables, genre potentiellement fau(ch)teur de troubles?

Pour ta blessure de guerre, c'était une question réthorique. Non pas que je me fiche de ce qui a pu t'arriver...

Guy M. a dit…

Côté biométrie, nous sommes pas mal avancés...

(Ma réponse aussi était rhétorique...)