jeudi 15 octobre 2009

Justice poitevine moulée à la louche

Connaissant la diligence des édiles poitevins et l'efficacité des compagnons vitriers locaux, je pense que la reconstruction de la ville de Poitiers est presque terminée maintenant, un peu moins d'une semaine après le déferlement incontrôlable d'une noire tornade en ses murs. Les abribus ont dû retrouver leurs panneaux vitrés, merveilleux supports publicitaires, et les boutiques leurs vitrages illuminés, magiques invites consuméristes.

Quant au tags les plus tenaces, ils ont dû disparaître, avec leurs messages adressés urbi et orbi, car l'un d'eux, comme le pape, parlait même le latin de Vatican II...

D'après un érudit qui signe JP son intervention sur IndyMedia-Nantes, la citation complète, inscrite le 10 octobre sur un mur du Baptistère Saint-Jean, dont les poitevins sont si fiers, serait:

"In extrema necessitate omnia sunt communia, id est communicanda",

ce qu'il paraphrase, plutôt qu'il ne traduit, en:

"Dans la nécessité extrême, quiconque peut se procurer l'indispensable par les richesses d'autrui".

(!!)

Selon lui, ce texte se trouverait dans la Constitution sur l’Eglise dans le monde de ce temps, «Gaudium et Spes», au § 69...

Il faudra que j'en parle avec mon confesseur...

Je regrette que l'inscription n'ait pas été tracée en onciale latine,
l'architecte des Bâtiments de France l'aurait peut-être préservée.

L'article de JP prend place au milieu des échanges de réflexions individuelles et d'invectives groupusculaires qui ont suivi la journée anti-carcérale qui a été organisée à Poitiers et qui a tourné court de manière irréversible.

Tout cela doit être bien intéressant, mais m'ennuie profondément: il m'arrive de me lasser de voir couper les pavés en quatre...

Coupé en deux, ce n'est déjà pas facile à raccommoder...
(Vincent Ottiger, Suturé.)


Cela, pour l'instant, ne peut que passionner les experts du ministère de l'Intérieur, qui doivent être pressés, non d'en découdre, mais d'en dissoudre.

Et encore...

Monsieur Hortefeux ne semble guère enclin à attendre le résultat des cogitations de ses consultants en ultragauchisme.

Avec un très relatif respect de l'indépendance de la Justice, il s'est rendu lundi à Poitiers pour consoler les commerçants en pleurs devant leurs vitrines brisées, et surtout pour demander, ou peut-être exiger, que l'on prononce des peines exemplaires à l'encontre des personnes arrêtées le 10 octobre, huit d'entre elles passant en comparution immédiate l'après-midi même.

Monsieur Hortefeux aime faire dans la légèreté.

Durant ce procès, qui a duré huit heures et demie et s'est achevé à 1h 15, le parquet a bien suivi les desiderata du ministre de l'Intérieur, mais, nous dit La Nouvelle République, "les magistrats ont sérieusement revu les réquisitions à la baisse".

Heureusement ! se dit-on en parcourant la liste des condamnations prononcées et des motifs de ces condamnations. Car si l'on croyait encore que la Justice était rendue avec le dos de la cuillère par des juges laxistes, on en perdrait ses illusions. Ils y sont allés à pleine louche:

Nathalie : Déclarée coupable de détention de feux d’artifice ; 2 mois avec sursis.

Charles : Déclaré coupable de détention de feux d’artifice ; 2 mois avec sursis.

Patrick : Déclaré coupable de violence sur commissaire (jet de pile) ; 8 mois dont 4 avec sursis ; 800 euros d’amendes.

Serge : Déclaré coupable de dégradations volontaires sur bien privé ; 6 mois avec sursis, 2 ans de mise à l’épreuve (obligation de soin, d’activité et de dédommagement) ; 2850 euros d’amendes.

Samuel : Déclaré coupable de violence sur commissaire ; 6 mois dont 5 avec sursis.

Jean Salvy : Déclaré coupable de violence sur officier de police ; 6 mois dont 5 avec sursis.

Leo : Déclaré coupable de dégradations volontaires par incendie et jets de pierre ; 6 mois avec sursis.

Candice : Déclarée coupable de dégradations volontaires sur un bien d’utilité publique ; 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve ; 300 euros d’amendes pour refus d’ADN et 650 euros pour la Mairie de Poitiers.

Cette liste a été établie par le Collectif contre la prison de Vivonne, sur son blogue.

On sait que le parquet a fait appel sur un certain nombre de dossiers:

Le parquet fait appel de la relaxe de Charles, 24 ans, poursuivi pour des violences sans ITT contre les policiers ; de Samuel, 20 ans, poursuivi pour les mêmes faits et condamné à six mois de prison, dont un ferme avec mandat de dépôt ; de Léo, 22 ans, condamné à six mois de prison avec sursis simple pour avoir mis le feu à un container et avoir dégradé une cabine téléphonique à coup de pierres. (...)

Le défenseur de Jean-Salvy, 20 ans, a fait appel de sa condamnation à six mois de prison, dont un ferme et mandat de dépôt, pour jet de projectiles sur les forces de l’ordre. Le parquet avait requis dix mois de prison ferme et le mandat de dépôt. Il a donc interjeté un appel incident. (...)


Devant le palais de justice de Poitiers,
en attendant le verdict.

Le Collectif contre la prison de Vivonne, malgré les critiques et les débats, reste droit dans son soutien aux inculpés, et avait appelé à un rassemblement de solidarité lors de l'audience.

Le récit posté sur la page d'anticarcéral.poitiers donne bien l'ambiance:

A 14h le 12 octobre sur la place du Palais de Justice de Poitiers, les renseignements généraux se mêlent maladroitement aux jeunes et moins jeunes qui se rassemblent. Certains sont là pour des cas particuliers, d’autre pour un soutien général. (...) La salle d’audience bondée sera vidée une fois pour une pseudo vérification de sécurité. Les consignes qui suivent sont éloquentes «rentrent en priorité les parties civiles, les témoins et les étudiants en droit (...)».*

(...) Les parties civiles en pleine démesure réclament des sommes impayables ou absurdes, inventées sur le moment, sans toujours se fendre d’un rapport de conclusion, comptant beaucoup sur le Parquet pour obtenir réparation de ces dangereux casseurs. (...) Dans la bouche du Procureur, c’est la voix d’Hortefeux qui résonne sous la coupole du Tribunal : plus de 5 ans de prison ferme et 3 ans de sursis sont réclamés en tout pour ces huit prévenus qui n’ont même pas causé d’égratignure. On en accuse de jets de pierre, en oubliant qu’aucune n’a atteint la cible qu’on lui prête. On soupçonne les témoins de complicité sans leur laisser le moindre crédit et l’on glorifie le courage et la bravoure des fonctionnaires de police (surtout les gradés…) qui sont installés sur un piédestal. (...) Après de telles réquisitions les avocats suffoquent d’énervement et de fatigue tant les dossiers sont mal ficelés et que certaines incohérences pourraient prêter à rire si la liberté de l’individu n’était pas mise en balance. Il est prouvé par la bonne foi, la logique et des témoins que certaines déclarations policières sont erronées, parfois mensongères, affirmant "de manière tout à fait convaincante", à écouter le Mr. le procureur, avoir identifié tel ou tel individu à une distance défiant les capacités visuelles des rapaces, avec une exactitude inhumaine, et faisant état d’éléments qui n’existent pas (par exemple des buissons dans une rue qui n’en comporte pas…).

C'est ce que l'on appelle une justice exemplaire.



*Il convient de préciser que, parmi ces étudiants en droit, monsieur Jean Sarkozy ne figurait pas, même incognito. D'ailleurs, incognito, il ne serait plus qu'un grand jeune homme un peu falot qui se prend au sérieux...

11 commentaires:

Grand'goule a dit…

J'ai habité un temps à poitiers, et il me semble que la municipalité avait pris l'initiative de démonter les panneaux publicitaires de la ville, y compris sur les abribus. Quelqu'un peut confirmer ?

Anonyme a dit…

Il faut surtout signaler que pour certains des accusés, les accusations sont complètement fantaisistes alors que des vidéos et des photos les montrent calmes et en marge de la manifestation. Voir par exemple sur : http://soutiensametjeansalvy.over-blog.org/

Guy M. a dit…

@ Grand'goule,

Mes souvenirs de Poitiers datent un peu, et la municipalité a pu prendre cette heureuse initiative...

@ Anonyme,

La fin du paragraphe que j'ai cité laisse bien entendre que les accusations, et les preuves, sont pour le moins "sollicitées".

(Merci pour le lien.)

JBB a dit…

le Syndicat de la magistrature a magnifiquement embrayé derrière ton billet (quelle influence !) : il condamne "la pression sécuritaire" et "l'instrumentalisation de la justice". Et écrit notamment :

"le ministre de l’Intérieur s’est empressé de suggérer à la justice de sanctionner « durement » les auteurs de ces dégradations.
Manifestement, le message a été parfaitement entendu par le parquet de Poitiers qui a immédiatement déféré en comparution immédiate les quelques manifestants interpellés. Le choix de cette option procédurale – singulièrement expéditive mais particulièrement adaptée pour surfer sur l’émotion – caractérise la soumission de plus en plus fréquente des autorités de poursuites aux injonctions de l’exécutif."

Plutôt une bonne surprise.

Guy M. a dit…

Je suis bien content que le Syndicat de la Magistrature prenne position là-dessus: contrairement à certains, ces gens-là ont en général terminé brillamment leurs études de Droit.

Alex a dit…

Ces condamnations n'ont rien d'étonnant. Ne serait-ce qu'en 2005 (banlieues) ou en 2006 (CPE), c'était déjà le même topo un peu partout. Bref, cela n'a rien à voir avec Hortefeux, les tribunaux en général n'ont jamais été tendre avec les manifestants "violents" et minoritaires (évidemment quand il s'agit d'agriculteurs de la FNSEA c'est différent).
Ceci étant, je ne trouve pas les débats sur indymedia (ou ailleurs) si inutiles ou inintéressants. On ne peut pas se contenter de cacher certaines questions derrière la solidarité aux accusés/condamnés, notamment celle de savoir à qui à profiter ces actions et à qui elles ont nui véritablement. Il suffit de voir les vidéos pour apprécier comment la population locale a perçu la manif...

Anonyme a dit…

Lors de la manif de soutien suivante, l'ambiance déjà délétère s'est aggravée suite au passage du ministre de la répression. La justice expéditive assénée à Poitiers à 8 lambdas (on note qu'aucun « casseur » patenté n'a été épinglé) a été bien dure pour deux fils de bourgeois locaux. Cela justifiait la marche d'un millier de « sympathisants ».
Mais le défilé, très familial, jusqu'au parc Blossac a été... bouclé derrière les grilles du jardin public!! Et cela, dès qu'un papa de condamné s'est permis de dire sa colère. Vu ce qui s'était passé, on aurait attendu de sa part une diatribe plus amère encore que ses termes modérés... mais relevés comme injurieux par un commissaire présent. Voir le reportage sur FR3, ça donne froid dans le dos. Le vieux papa traîné par terre comme un assassin, les flash ball braqués à travers les grilles sur les petits vieux, enfants etc, tout ça parce que certains se permettent de critiquer l'appareil répressif !!!
Les vieux militants du PS et de la ligue des droits de l'homme ne s'attendaient pas à ce que 5 cars de CRS leur déboulent dessus.
À ceux qui sont rentrés en bon état chez eux, je conseille de brûler illico leurs vieux disques de Brassens. L'hécatombe que chantait Georges au temps de la guerre des boutons vaudrait bien des ennuis à ses inconscients fans du XXIe siècle.

Guy M. a dit…

@ Alex,

Oui, les accusations hâtives, les témoignages tordus, les procureurs déchaînés et les verdicts insensés sont monnaie courante (je pense aussi aux peines prononcées juste après les élections présidentielles à l'encontre des protestataires de la Bastille-Gare de Lyon). La présence d'Hortefeux devait faire exemple et événement, pour faire passer ses deux nouveaux fichiers.

Quant aux débats, j'ai dit que j'en étais lassé... surtout parce que je ne vois guère d'issue apparaître. Enfin, dubitatif, je suis...

@ Anonyme,

Je n'ai pas encore vu les reportages sur cette manif de samedi. Je vais m'y mettre...

(Mais la nasse créée à Blossac est le type même de provocation policière délibérée.)

Schlomo a dit…

il y a un texte de Saint-Ambroise qui dit qu'en cas de nécessité le vol n'est pas un vol et que les riches doivent donner leur surplus aux pauvres
voir sur Philagora

Schlomo a dit…

extrait de Saint Amboise cité par Thomas d'Aquin
"Et, même en cas de nécessité évidente et urgente, où il faut manifestement prendre ce qui est sous la main pour subvenir à un besoin vital, par exemple quand on se trouve en danger et qu'on ne peut pas faire autrement, il est légitime d'utiliser le bien d'autrui pour subvenir à ses propres besoins; on peut le prendre, ouvertement ou en cachette, sans pour autant commettre réellement un vol ou un larcin."

Guy M. a dit…

Merci beaucoup de cette référence, qui confirme ce que je supposais: le timide retour, lors de Vatican II, de l'esprit "partageux" de l'église des premiers siècles.