mercredi 15 juillet 2009

Pas de questions qui dérangent

Christophe Cornevin, Paul-Henri du Limbert et Anne Rovan, qui œuvrent dans les colonnes du Figaro, ont eu l'honneur d'être reçus par monsieur Brice Hortefeux, au ministère de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et des Collectivités Territoriales, dans son bureau de la place Beauvau, le lundi 13 juillet. On se demande bien pourquoi ils ont dû se mettre à trois pour lui poser une dizaine de questions maigrelettes et assez convenues, mais c'était peut-être pour tenter de l'impressionner, en appliquant une vieille recette policière.

Mais, rassurez-vous, ils ont bien pris soin de ne pas trop le déstabiliser, en faisant tout ce qui était en leur pouvoir pour lui permettre d'exploiter ses petites fiches toute prêtes: nombre de voitures brûlées en 2008 à l'occasion de la Fête Nationale, effectif des policiers et gendarmes mobilisés et déployés en 2009 pour garantir la sécurité festive, statistique de la délinquance et stagnation de l'accroissement de sa diminution...

Bref, de quoi arriver à un message fort qui servira de titre: la mission du ministre est bien d'"assurer la sécurité partout et pour tous, dans le respect des libertés individuelles".

Nos trois journalistes n'ont pas manqué d'audace non plus, en osant une question sur les "trois nuits d'échauffourées" de Firminy. Ils auraient, certes, pu poser une question voisine, sur l'étrange tentative de suicide d'un jeune homme dans une cellule de garde à vue, mais ils auraient reçu la même réponse:

"Pour ma part, je tiens à souligner que toutes les garanties de transparence ont été, sont et seront respectées."

Avant de quitter le ministre, les trois investigateurs n'ont pas honte de demander:

Comment avez-vous vécu votre nomination surprise à l'Intérieur ?

Monsieur Hortefeux leur donne cette réponse superbe, qu'il a dû apprendre par cœur à son arrivée au gouvernement, car il nous la recycle à chaque entretien:

Je suis un homme d'engagement, pas un homme de carrière. ­Je vais donc accomplir cette nouvelle mission qui m'a été confiée par le président de la République avec enthousiasme et détermination.

Il en faudrait plus pour le surprendre.

Aucune question ne fut posée sur la blessure reçue par un manifestant, dans la soirée du 8 juillet, à Montreuil. On ne va tout de même pas importuner un ministre pour une banale histoire d'œil perdu dans une charge de police...

Et lundi matin, madame Voynet n'avait pas encore révélé cette déclaration du directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint Denis, donnée en réponse à l'indignation de certains résidents de Montreuil:

"Si vous n'êtes pas contents, il faut être conscient du fait qu'en Iran, on tire sur des gens".

(Cette déclaration est reprise par l'éditorialiste de Libération, François Sergent, qui affirme que cette réponse fut faite à madame Voynet elle-même... Ce n'est pas ce que j'avais compris.)

Il est évident que si ce manquement au devoir élémentaire d'intelligence avait été connu, nos journalistes auraient insisté auprès du ministre pour savoir comment un tel dérapage verbal était possible venant d'un haut fonctionnaire...

Prémonitoire ?

Un autre ministre est actuellement très sollicité par la presse, et à juste titre, car au vu des premiers résultats obtenus, on peut en espérer beaucoup*. Il s'agit de monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

Le Figaro-blogue d'Armelle Héliot, Le grand théâtre du monde, relate une "une mini-conférence de presse à l'Hôtel de la Mirande", donnée lors de son passage (quasi obligé) en Avignon. On peut constater que, contrairement à son collègue de l'Intérieur, ce ministre n'a pas fait préparer de fiches et qu'il s'en remet à son talent d'improvisateur, qui semble assez réduit.

On ne cherchera donc pas de réponses dans ce billet, mais j'y ai trouvé, curieusement, une question non-posée, sur laquelle Armelle Héliot insiste:

On oublie de l'interroger sur la tragique intervention policière de Montreuil : un jeune homme, Joachim Gatti, 34 ans, a perdu un œil dans un assaut qui semble assez disproportionné. Il se trouve qu'il appartient au monde du spectacle vivant, de la défense de la culture. Il est le petit fils d'Armand Gatti. (...) On rappelle que Montreuil est le lieu des ateliers de Méliès et de La Maison de l'Arbre, grand foyer d'invention théâtrale et civique animé par Armand Gatti, son fils Stéphane, son petit-fils Joachim, la famille. Et qu'Armand Gatti a été un grand combattant dans la guerre.

Une journaliste du très convenable Figaro nous rappelle qu'avec Joachim Gatti, c'est aussi la culture vivante qui a été blessée par les représentants de la brutalité méthodique.

Cette culture vivante, Armand Gatti, le grand père de Joachim, l'a incarnée toute sa vie, sans relâche, sans reniement, sans compromis.

Armand Gatti.

On peut découvrir Armand Gatti sur une très belle page que Mona Cholet lui a dédiée sur Périphéries et sur le site de La parole errante, qui lui est consacré.

En y apprenant que son père, qui, les jours d'examen, le lestait d'un grand bol de café mélangé de vin rouge, et l'expédiait à l'école d'un "Montre-leur ce que sait faire le fils d’un anarchiste !", avait été tué dans le matraquage d'une manifestation, je suis resté rêveur...



* Tout récemment, à propos de Sale pute d'Orelsan:

"Rimbaud a écrit des choses bien plus violentes et qui sont devenues des classiques."

Comme je suis totalement inculte, sinon je serais ministre de la culture, je ne vois rien dans Rimbaud d'aussi violent et, surtout, d'aussi nul que Sale pute.

Monsieur le ministre Frédéric Mitterrand pourrait-il m'éclairer ?

5 commentaires:

myriam a dit…

"Montre leur ce que sait faire le fils d'un anarchiste!" ... oui ça laisse rêveur/se...
J'aimerais bien que parfois ma mère me dise "Montre leur ce que sait faire la petite-fille d'un anarchiste", mais apparemment, ses quelques "n'oublie pas d'où tu viens" ne veulent pas dire ça... Ou alors elle pense qu'il y a un temps pour tout, et que la Résistance c'était bon qu'à l'époque (pourtant son père n'était qu'un gosse à ce moment là, c'est sûrement par la suite qu'il est devenu ce qu'il a - brièvement - été). J'me demande parfois ce qu'il dirait de ce monde de fous...

Guy M. a dit…

Le plus dur, ça devait être de survivre au mélange café-vin rouge...

myriam a dit…

Très juste...

olive a dit…

Y a vraiment que ces sales anarchistes pour porter la chienlit jusque dans notre glorieux café-gnôle national.

Guy M. a dit…

Et qui plus est, des anars d'origine italienne!