mardi 21 juillet 2009

Un petit pas dans mon jardin secret

Neil Armstrong, Edwin "Buzz" Aldrin et Michael Collins, peuvent bien exhiber leurs sourires faussement modestes de retraités de l'armée américaine dans une posture de garde-à-vous sénile aux côtés du président Obama, moi, voyez-vous, je ne leur dis pas "merci" à ces trois papys. Car ces "trois icônes", ces "trois véritables héros américains", peuvent se vanter d'avoir, certes, fait perdurer la croyance néfaste en un bénéfique et inéluctable progrès militaro-scientifique, mais aussi d'avoir changé le cours de ma vie, et assurément gâché la fin de mes vacances de l'été 1969.

Edwin "Buzz" Aldrin, Michael Collins, Neil Armstrong,
et Barack Obama en visite à la maison de retraite,
en train de tester un tour de prestidigitation pour les nuls.


Je reposais alors ma jeunesse fatiguée de dix-huit ans et demi d'existence dans les parages de l'Albigeois, au cœur d'un vaste campigne qui étalait toutes ses installations, et la vulgarité qui va avec, sur les berges d'un lac assez grand pour abriter toute une flottille de pédalos et quelques coques de noix équipées de voilures. Cet arsenal était entretenu et surveillé par un autochtone qui exhibait une impressionnante musculature, une mauvaise humeur chronique et une suspicion généralisée, dont sa fille, Cunégonde*, prenait plus que sa part.

Toute la jeunesse rassemblée en ces lieux passait ses soirées dans un endroit écarté, appelé la Boitaclous, où elle aimait s'adonner, en musique, aux juvéniles gesticulations précopulatoires qui accompagnent généralement ce type de réunions.

J'avais accoutumé de venir m'y abreuver de quelques verres de cuba libre, boisson syncrétique où le rhum blanc de la révolution s'édulcore en présence du coca-cola impérialiste. J'y refaisais le monde gaiement en compagnie de Cunégonde, et lorsqu'il était partiellement refait à notre goût, nous allions prendre place dans l'agitation de nos contemporains.

Cunégonde était une adepte d'une version albigeoise du rock'n roll, adaptée, disait-elle, du bebop fleurissant à la Libération dans les caves germanopratines. Elle pratiqua, en ma direction, un prosélytisme acharné auquel je succombai, et je pris, dès lors, un grand plaisir, purement esthétique, à faire danser ses douces rondeurs sur le rythme rude et carré des pionniers du rock.

Je me dois de préciser, pour mes lecteurs et lectrices en bas-âge, qu'à cette époque lointaine où les retombées de la course à l'espace n'avaient pas encore touché l'industrie du sous-vêtement féminin, le soutif était un tel instrument de torture que beaucoup de jeunes filles en faisaient l'économie, préférant s'abandonner à l'état d'apesanteur.

Lorsque, vers la mi nuit, le lanceur de disque baissait les lumières pour diffuser des musiques plus moelleuse, c'était l'heure de fin de permission pour Cunégonde que son père intraitable attendait près du hangar à pédalos.


La nuit où l'humanité fit un grand pas, le campigne se regroupa autour des quelques téléviseurs disponibles. Le bar-pizza-marchand-de-pains-de-glace resta ouvert pour accueillir une assistance au bronzage éclatant. Au premier rang le père de Cunégonde somnolait patiemment en ronflant jusqu'à ce que son voisin le réveille. Il écarquillait alors des yeux hallucinés sur les images floues et tremblantes.

Cunégonde, elle, ne parut pas.

La traîtresse avait retrouvé la veille un bellâtre, directeur de la colonie de vacances des Postes et Télécommunications, et avait profité de cette nuit historique pour échapper à la surveillance paternelle et blottir son petit cœur d'artichaut dans les bras de cet Apollon toulousain.

Qui, de plus, dansait comme un pied.

A peu près comme ça...


* J'ai changé le prénom, par mesure de sécurité pour elle.

4 commentaires:

Marianne a dit…

Que voila de votre part une élégante preuve de savoir vivre que d'avoir modifié le prénom de la demoiselle . Si j'ai tout compris il y eut deux voyages en Albigeois ce soir la :l'un au septième ciel et l'autre sur la lune !

Guy M. a dit…

... et n'oublions pas ma descente en enfer.

JR a dit…

Je me permets de souligner une légère erreur sur la légende de la photo n°1 : les 3 astronautes prouvent qu'ils ne sont pas des imbéciles en ne regardant pas le doigt qui leur désigne la lune. Cette fine allusion à l'humour philosophique chinois est un doigt d'honneur subtil à ces jaunes qui étaient encore plus dans les choux que les russkofs dans la colonisation spatiale…
Amitiés.
PS : Sans aucun rapport, tu devrais aller faire un tour chez Manuel Valls pour apprécier sa modération des commentaires sur son blog.

Guy M. a dit…

Bien content de te revoir par ici...

Nos trois héros n'ont rien d'imbéciles, mais ils n'ont pas l'air de beaucoup suivre non plus. On peut comprendre que l'on n'ait pas attendu le cinquantième anniversaire du "grand pas".