mercredi 8 juillet 2009

Les voix étouffées de Vincennes

Tout va pour le mieux dans les marges du meilleur des mondes possibles qui est le nôtre.

C'est la conclusion du rapport d'information, présenté par monsieur Thierry Bariani à la commission des lois de l'Assemblée Nationale, et adopté par icelle commission. Un groupe de parlementaires, composé de messieurs Serge Blisko, Patrick Braouezec, Éric Ciotti, Michel Hunault, madame George Pau-Langevin et monsieur Christian Vanneste, était chargé d'enquêter sur les conditions de vie dans les centres de rétention administratives et les zones d'attente.

(On trouvera le rapport en pdf chez LeMonde.fr, ainsi que les remarques critiques des députés d'opposition monsieur Serge Blisko et madame George Pau-Langevin.)

Vue sur les limbes du paradis occidental.

A part un court article de Marie Barbier dans l'Humanité, les quotidiens n'ont pas donné de nouvelles de la grève de la faim qui a eu lieu ces derniers jours au CRA de Vincennes. Pour en avoir, il fallait se rendre sur les quelques sites vigilants (le Jura Libertaire, la page de RESF, pardon à ceux que j'oublie...) ou être inscrit à certaines listes de diffusion...

Pourtant, les grévistes de la faim avaient trouvé des contacts à l'extérieur et notamment fait passer un communiqué, relayé par la Cimade, commençant par:

Nous, l’ensemble des retenus du centre de rétention de Vincennes, après une concertation générale, avons convenu d’entamer une grève de la faim à partir du 30 juin 2009 jusqu’à satisfaction totale de nos revendications.

Mais il faut croire que tout cela est trop lointain pour être entendu.

Aussi nous faut-il revenir sur les témoignages des retenus, recueillis par les militants, qui sont, à mes yeux de démocrate atypique, plus fiables que des informations sélectionnées par une mission parlementaire.

Reçu le 1er juillet:

"C’est le deuxième jour de la grève de la faim. On ne mange pas depuis deux jours. On a commencé avant-hier soir à minuit après une ultime tentative de suicide. En 25 jours, il y a eu 5 tentatives de suicide. L'ambiance était horrible au centre. Ça devenait fou, on regardait ça tous les jours et on s'habituait, c'est fou on ne doit pas s'habituer à des gens qui s'automutilent et se suicident tous les jours. Il fallait réagir à ça. On était en train de devenir des monstres, on réagissait plus. On s’est dit il faut réagir autrement, ne pas s’habituer. On s’est dit qu’un jour il y allait avoir un mort, qu’on allait se retrouver avec un cadavre. On s’est réuni dans la cour. La grève de la faim a commencée à minuit. On a décidé de restituer les sacs du petit-déjeuner qu'ils nous donnent le soir. On les a tous posés sur la table de ping-pong dans la cour.

(...)

On a prévenu des associations pour notre mouvement. On attend du soutien maintenant. On a écrit une liste de revendications :

1) apporter une solution rapide et efficace aux retenus traumatisés par les tentatives de suicide.

2) Améliorer les conditions de rétention : nourriture, hygiène, comportements de la police et de l’administration. Parce qu’ils réagissent de manière agressive. On n’a pas le choix pour les heures de repas, pour acheter des clopes… Les consultations avec l’infirmière sont souvent retardées ou refusées. Pareil avec la Cimade. Pour les visites, ils essaient de décourager les gens en les faisant attendre. Ils nous disent que c'est plein et qu'il faut attendre et quand on arrive aux visites on se rend compte qu'en fait il y n'avait qu'une personne.

3) Prendre en considération les retenus gravement malades et leur offrir des soins à l’extérieur. Il y a des gens qui ont des traitements et qu’ils ne peuvent plus suivre ici.

4) Libérer les retenus qui ont une famille, des enfants en France, mariés ou vivant avec une résidente française.

5) Offrir plus d’avocats commis d’office. En général, il y a un seul commis d’office pour 5 ou 6 retenus. Il n’a que quinze minutes pour regarder le dossier.

6) Donner le choix aux retenus qui souhaitent quitter la France par leurs propres moyens, dans la dignité. Par rapport à la famille là bas, ou pour des raisons politiques, y'a des gens qui préfèrent repartir par leur propres moyens. les juges ne veulent jamais donner des assignations à résidence. Moi c'est mon cas par exemple, j'ai demandé au juge et il a refusé.

7) Remédier aux conditions de mouvements, de déplacements avant et après les audiences. On est réveillé à 6 h pour un audience à 10h, on attend 4 à 6h dans une pièce sale, qui sent l’urine.

8) Donner plus de temps aux retenus qui sortent libres pour préparer leur départ au pays. Légalement on a que 8 jours, on ne peut rien préparer en 8 jours.

9) Arrêter les contrôles massifs et abusifs dans la rue qui portent atteinte à la liberté.

10) Respecter le règlement intérieur : l’administration l'enfreint tout le temps. Les personnes sont expulsées sans être prévenues qu'elles vont l'être. Ils doivent nous le dire.

11) fermer les centres de rétention et régulariser les sans papiers. Il fallait bien qu'on la mette quelque part quand même cette dernière revendication !"

Le jeudi 2 juillet:

"On a décidé de tenir la grève jusqu’au bout malgré les difficultés : la sécurité, l’administration, les nouveaux arrivants qu’il faut informer. On essaie de tenir malgré la réticence des services du centre. Personne du centre n’est venu nous parler ni par rapport à notre santé ni par rapport à nos revendications. L’infirmerie ne s’est pas manifestée. L’administration a refusé de nous donner du sucre. Ils veulent nous donner du sucre en échange de tickets repas pour pouvoir justifier qu’on ne fait pas de grève de la faim."

(...)

Deuxième coup de fil :

"Le capitaine du centre est venu expliquer qu’il était impossible de donner du sucre aux grévistes de la faim car les gestionnaires du centre n’ont pas le droit de sortir du contrat avec l’entreprise privée qui fournit la nourriture. Donc, ce n’est pas possible d’acheter même deux ou trois kilos de sucre car ça sort du contrat."

Samedi 4 juillet:

"Hier, vers 20h30 à côté du centre il y a eu une foule qui manifestait pour nous. Un ami qui appelait sa fiancée dehors est rentré dans la chambre pour nous dire qu’il y avait des manifestants qui criaient pour nous. Il a dit qu’il fallait sortir, on ne s’attendait pas à ça, on est sorti d’un seul coup.

Ça m’a vraiment touché. On ne pouvait pas voir mais on a entendu crier, on nous parlait en criant. La petite foule demandait la libération des retenus, la liberté. Ça m’a fait beaucoup plaisir, ça m’a chauffé le cœur. On a crié avec eux même si on est fatigué par la grève de la faim. On a fait des efforts pour qu’ils nous entendent. Je sais pas combien de minutes ils sont restés puis ils sont partis, je pense à cause de la sécurité. Peut être la police a dispersé les manifestants. On était très heureux. Ça m’a vraiment touché pour moi et pour les autres, ça nous a donné le courage pour qu’on continue la grève.

(...)

La dernière fois on a demandé du sucre, la police était d’accord, elle a demandé du sucre au personnel civil du réfectoire. Les travailleurs nous en ont donné mais quand leur chef a vu ça il a gueulé, il a dit que si on voulait du sucre on avait qu’à prendre les repas. On a refusé. Après le personnel civil ne voulait plus nous donner de sucre.

Alors on a protesté auprès du capitaine pour avoir du sucre et on a fini par obtenir du capitaine de pouvoir aller chercher du sucre et du sel à l’infirmerie."

Dimanche 5 juillet:

"Il y a trois malades dans la journée. Il y en a un qui est tombé et qui a été transféré à l'hôpital. On a aucune nouvelle depuis, il y en a un qui a déjà eu des problèmes, un ulcère. Il est descendu à l'infirmerie, il lui ont donné des comprimés, l'autre pareil il lui ont donné du Lexomil. Ils veulent rien faire. Il y a deux personnes qui ont avalé des bouts de métal et des lames aujourd'hui parce qu'ils n'en pouvaient plus. Il y en a un qui est à l'infirmerie et l'autre qui veut parler à personne. Le médecin est pas là et les flics disent que ça dépend de l'infirmière pour transférer quelqu'un à l'hôpital. Il y a un état de stress. Il y a des tentatives d'intimidation pour nous faire manger. Les gens qui vont au distributeur de boisson et de clopes sont pointés sur une liste. On est à bout de nerfs. Comme on a dit qu'on restait pacifiques on sait pas quoi faire. On est tous sur les nerfs. On a des douleurs à l'estomac, des maux de tête. Ça va être une soirée difficile. Il y avait deux Chinois qui devaient être expulsés, il y en a un qui a accepté de partir mais l'autre a refusé et il a été libéré. Sinon ça fait deux jours qu'ils ont ramené personne au centre, quelque part on a réussi un peu. Là on est à peu près une quarantaine et 36 en grève de la faim. Il y en a deux trois qui mangent et ceux qui sont malades."

Lundi 6 juillet:

"Finalement ça c'est calmé hier soir. Il y a un qui avait avalé des bouts de métal, il est tombé du coup il l'ont transféré à l'hôpital hier soir. Celui qui avait avalé des lames y est allé ce matin. On a fait un rapport à la Cimade. Ils ont toujours ramené personne. Il y a eu une visite ce matin d'un représentant du ministère. Il a visité les locaux, les caméras, la sécurité..."

La grève de la faim continue mais la pression monte. Il y a deux heures de cela, donc vers 12h30, la police est venue chercher deux grévistes qui devaient être libérés à 16h00 aujourd'hui, pour les expulser. L'un des deux est l'auteur de ce témoignage.

Au matin du mardi 7 juillet:

"Le mec qui a avalé des lames a été transféré à l'hôpital. Comme il refuse les soins, il nous a appelé pour dire que il l'avait attaché au lit et qu'il lui avait injecté des trucs avec une seringue. La cimade ne sait même pas où il est.

Pour l'instant il n'y a toujours aucun nouveau. Il y a un nouveau commandant de bord. Hier soir, il a fait une fouille générale des chambres. On a tous dû descendre dans la cour. Après il a fait une fouille individuelle. Il y a toujours des tentatives d'intimidation pour ceux qui ne mangent pas. Ils demandent aux grévistes de se signaler au guichet. Ils disent que ils doivent calculer le nombre de repas à acheter. Mais on a refusé. Le capitaine nous a menacé, il veut nous faire croire qu'il y a un risque d'avoir un casier judiciaire par rapport à la grève de la faim. On est allé discuter avec lui."

Et puis, aujourd'hui, mercredi 8 juillet:

"On a arrêté la grève de la faim hier . Je peux rien vous raconter en ce moment .Au niveau d'en bas, j'ai eu quelques petits problèmes à cause des communications. Ils nous ont vu beaucoup téléphoner , ils m'ont averti, je préfère arrêter les communications."

(...)

Nous demandons des nouvelles des deux retenus algériens qui ont été expulsés hier et nous racontons ce qu'ils nous ont dit sur leur expulsion.

(...)

"Hier ils ont été expulsés, ça été fait. Dommage. Ils nous ont appelé de l'avion vers 16h, on a su qu'ils ont été expulsés. Alors, hier au centre ils ont pas voulu continuer. Tout le monde a peur vis à vis de ce qu'ils ont fait aux autres. Tout le monde a peur. Ce sont des pauvres gens. Tout le monde a mangé. Personne ne dévoile ce qu'il ressent. Les gens ne se font pas confiance entre eux. Je ne peux pas deviner leurs pensées. Moi j'étais bloqué, ils ont changé d'avis d'un moment à l'autre. J'étais bloqué, j'ai pas pu réagir. On n'a pas de possibilités, c'est très délicat."

Ce sont des témoignages à plusieurs voix, lacunaires, mais ils sont là, et il serait grand temps de comprendre ce qu'ils donnent à entendre.

Le rapport de monsieur Mariani, dans ce langage abject qu'utilisent les gestionnaires du meilleur des mondes, parle de "stress suscité par un retour non souhaité dans le pays d’origine".

Ça doit être ça, en effet.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Après la lecture - au long de ton billet - de ces témoignages, la phrase du rapport fait vraiment froid dans le dos. Très belle démonstration de ce que la froideur bureaucratique et l'indifférence à la souffrance d'autrui peuvent produire de pire.

JBB a dit…

Crotte, j'ai oublié de m'identifier. (Non que mon commentaire soit si classe qu'il nécessitât forcément que mon nom y soit associé, hein… )

Guy M. a dit…

Tu as raison de t'identifier: des anonymes peut venir le pire et le meilleur.

Là, je suis rassuré.

iGor a dit…

merci pour ce texte, cette retransmission de parole.
c'est à des signes de ce genre (le témoignage, ce dont il est témoigné, la retransmission du témoignage) que l'on mesure le caractère démocratique de nos sociétés.
en Suisse ce n'est pas très différents.
on peut s'informer un peu à l'adresse suivante:
http://stopexclusion.ch/observatoire/
bonne suite à l'escalier qui bibliothèque...

Guy M. a dit…

J'espère ne pas avoir été le seul à relayer ces témoignages (que l'on peut retrouver aussi sur Résistons Ensemble: http://resistons.lautre.net/spip.php?article421 )

Merci pour le lien, et bonne suite également au blog iGor.

myriam a dit…

Merci pour ce billet, même s'il est un peu déprimant à lire à 1h du matin...

Guy M. a dit…

En fait, ce n'est pas plus rigolo le matin.

Ce qui est encourageant, c'est que des gens déterminés aient pu tenir leur grève plus d'une semaine, et tenter de le faire savoir.