vendredi 14 janvier 2011

Le courrier des lecteurs d'Article 11

Il me semble, mais je n'en suis pas certain, que j'ai eu l'occasion, il y a quelque temps déjà, de vous parler de la sortie en kiosque d'Article 11, ce quotidien très intermittent qui paraît tous les deux mois. J'ai vaguement le souvenir de vous avoir recommandé de vous y abonner...

Si vous ne l'avez pas fait, il vous est encore possible de réparer cette erreur avant qu'elle ne devienne impardonnable.

Évidemment, votre abonnement ne pourra commencer qu'au deuxième numéro qui vient tout juste de sortir. Le premier, que les bibliophiles s'arrachent déjà, est totalement épuisé et restera manquant dans votre collection, que vous ne pourrez léguer qu'incomplète à vos héritiers.

Qui vous en voudrons éternellement.
Lorsque je fus approché par les chasseurs de têtes à plumes d'Article 11, pour une longue négociation qui devait aboutir à une courte chronique dans le numéro 2 de la publication, je demandai à voir le dossier, sensible entre tous, des courriers de lecteurs. Ce qu'on m'accorda, de mauvaise grâce, si mes souvenirs sont bons.

C'était un dossier considérable, que je pris en grande considération...

J'écartai dès l'abord une certain nombre de courriers d'une agressivité extrême de lecteurs qui estimaient avoir été trompés sur la marchandise à cause des couleurs affichées par ce premier numéro : bleu et rouge sur fond blanc, car il avait été imprimé sur du vrai papier, mais - faute de finances - avec des restes d'éosine et de bleu de méthylène récupérés ici ou là. Ces lecteurs, qui s'attendaient à une prose gaillardement nationaliste, répandaient leur vindicte sur plusieurs pages de grand style.

Je classai dans la même pile les lettres polies mais fermes de ceux qui, croyant que le journal était, comme on dit, en 3D, avaient acheté des lunettes spéciales et en demandait le remboursement.

Il me fallut ensuite consacrer plus de temps à une épaisse enveloppe de papier kraft qui contenait bon nombre de certificats médicaux signés d'ophtalmologistes, et quelques photocopies d'articles de revues médicales spécialisées dans le daltonisme. Une note de synthèse, rédigée par l'expéditeur, indiquait pourquoi Article 11 ne pouvait, en l'état, être lu sans engendrer une extrême fatigue visuelle par les personnes souffrant de dyschromatopsie. J'ai à mon tour rédigé une note synthétisant la note susdite, et j'ai pu constater que mon avis a été pris en compte puisque le numéro 2 est imprimé en bleu et en vert.

Juste pour l'anecdote, figurait dans le même envoi un rapport rédigé par un dermatologue à propos d'un de ses patients allergique au bleu de méthylène et abonné à Article 11. Ce document était accompagné de photographies très explicites dont j'ai déconseillé la publication.

Le numéro 2.

Me restait sous le coude une liasse assez épaisse pour que je puisse la considérer comme un échantillon représentatif de cette population, peu étudiée par les sociologues, constituée des gens qui écrivent aux journaux.

Je fis un constat accablant, ou du moins qui m'accabla : plus de la moitié des auteurs de ces courriers commençaient par une remarque sur le peu de lisibilité du journal. J'étais tout près du scoupe, voire du buzze : irai-je pouvoir affirmer, comme l'aurait fait n'importe quel écrivain-journaliste de renom, que plus de 50% des gens qui écrivent aux journaux n'arrivent pas à les lire, et feraient mieux d'écouter la radio ? Un examen plus approfondi de ces correspondances me montra que la plupart de ces râleurs avaient pourtant lu, et attentivement, ce premier numéro d'Article 11. Ces lettres contenaient nombre de remarques, parfois assassines, souvent élogieuses, sur le contenu même de ce que, prétendument, ils n'avaient pas réussi à déchiffrer.

Tant de mauvaise foi était par trop déconcertante. Au cours d'un déjeuner de travail, pris, vers 16h, dans l'un des kebabs les plus classieux de la capitale, nous décidâmes de ne pas faire de place, sur le papier, à ce finalement dithyrambique courrier des lecteurs : on peut produire la plus belle des publications indépendante de la presse mondiale, et demeurer d'une exemplaire modestie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le n° 2, peut-être un soupçon moins illisible (Guy M. a du bol, même ;-))

Mais, toujours, je m’interroge. Si on pense avoir de bonnes idées à faire partager, pourquoi, les rendant bien illisibles, travailler ainsi pour l’adversaire ?

Et quand on se fâche, parce que, justement, on aime Article XI, et que ça fout des boutons de voir un tel sabordage, et qu’on analyse (critères objectifs et rationnels, j’insiste, la lisibilité n’est pas affaire de penchants ou de caprices), on se fait jeter. Et pas doucement. Il y a des individus au-dessus de toute critique, n’est-ce pas.

Tant pis.

Dommage.

(Mais merci pour l’artik !).

Karl-Groucho Divan

Guy M. a dit…

Il me semble que tu fais allusion à des prises de bec dont je ne connais ni tenants, ni aboutissants.

Concernant la notion de "lisibilité", je la crois en grande partie construite par une certaine conception de la presse, et je me demande si l'on ne pourrait pas faire la généalogie de l'actuelle mise en page standardisée, et par conséquent lisible, en suivant l'emprise de la réclame, puis de la publicité dans les pages des journaux.

J'aime assez qu'Article 11 casse le standard aussi de ce point de vue-là, contrairement à beaucoup d'autres journaux alternatifs et indépendants.