mardi 2 novembre 2010

Un entretien interrompu

Pour les besoins d'une enquête que je mène actuellement sur les structures élémentaires de la parenté en banlieue ouest, j'ai été obligé d'utiliser les services d'un "fixeur". Cet élégant jeune homme m'a été recommandé comme un bon connaisseur du neuf-deux par la boulangère de Trifouillis-en-Normandie qui lui accorde toute sa confiance.

Il m'avait donné rendez-vous sur les Champs, dans un endroit plutôt sélect. Il m'embarqua aussitôt dans un véhicule décapotable, garé en triple file, et j'arrivai sur place légèrement décoiffé.

C'est madame Liliane B. elle-même qui nous accueillit à l'entrée du modeste F 64 qu'elle occupe dans une barre de logements HLM (Habitations à Loyer Majoré) à Neuilly-sur-Seine. Avant de nous laisser entrer, elle nous fixa d'un œil noir et furibard en nous demandant si nous avions informé sa fille de notre visite. Nous niâmes vigoureusement, sachant, comme tout le monde, que les désaccords entre la mère et la fille étaient devenus, dans leur quartier, une sorte d'affaire d'état.

Mon interlocutrice s'opposa farouchement à ce que l'entretien soit enregistré, au prétexte qu'il y avait suffisamment d'enregistrements qui circulaient. Plus, elle m'arracha littéralement des mains les feuilles que je sortis alors de ma poche pour prendre au moins quelques notes.

Je n'avais sur moi qu'une liasse de formulaires d'abonnement à la prestigieuse revue que sera, je n'en doute pas, Article XI.(*)

Cela ne pouvait lui échapper, et il fallut satisfaire sa curiosité concernant cet audacieux projet journalistique. Elle prit alors un air inquiet:

"Et elle ? Elle est abonnée ?"

Je lui assurai que non, qu'il n'en était pas question, que le service diffusion refuserait son abonnement à "elle", etc.

Ravie, elle annonça qu'elle allait abonner tous les habitants de l'immeuble. Ce qui, vu les dimensions pharaoniques de la barre HLM, représentait une belle somme...

Comme toutes les vieilles dames qui n'ont jamais les bonnes lunettes sur le nez, elle me demanda de remplir le chèque, ce que je fis scrupuleusement. Elle le signa à tâtons, puis l'examina en le tenant à bout de bras. Prenant un air mutin, elle y ajouta plusieurs zéros en forme de tête à Toto, puis elle me le confia en me disant:

"Si on m'abuse, c'est que je me laisse abuser, tant mieux pour moi."

Là-dessus, comme si elle oubliait le but de notre visite, elle nous congédia avec beaucoup de savoir faire.

Mon entretien était à l'eau.

J'empochai le chèque, conscient de n'avoir tout de même pas tout perdu. A la banque, où je l'ai déposé immédiatement, on m'a assuré que l'on tiendrait le plus grand compte des ultimes corrections: la générosité de la dame y est bien connue.



(*) Je ne sais plus si je vous ai déjà indiqué que pour vous abonner pour un an à ce superbe bibibihebdomadaire, il vous en coûtera 13 euros (pour les six numéros). Le formulaire d'abonnement est disponible en téléchargement sur le site du journal. Il vous suffit de l'imprimer, de le remplir et de l'envoyer, accompagné de votre chèque, à l'adresse suivante:

Article 11
3, allée Gambetta
92 110 Clichy

Il est préférable, toutefois, d'éviter une expédition via Athènes.

6 commentaires:

Lémi a dit…

"et j'arrivai sur place légèrement décoiffé." Pas crédible une seule seconde. Ton élégance capillaire, décapotable ou pas, ne saurait être mise à mal. Est-ce qu'Hulk est décoiffé après la bason ? Que nenni.

Pour le reste, on a déjà reçu l'abonnement Lilianne, avec des échantillons de shampoing. Les neuf zéros devraient nous assurer un certain standard de vie pendant un mois... Merci du geste (mille fois ! Et une ! pour faire bonne mesure). A ceusses qui t'accusent de propagande éhontée, on répond que c'est pas eux qu'on invitera à diner. Mais que toi...

galipettes et jovialités

Flo Py a dit…

Ouais, avec ce "légèrement décoiffé", on sait tout de suite qu'on est dans la fiction (ou la quatrième dimension).

Sinon... Hé ! dis donc, Lémi ! Moi aussi, je veux mon carton d'invitation à partager une quiche lorraine !

Bises

schlomo a dit…

trop fort!
mais comment fais-tu pour en sortir de si bonnes tous les jours et plusieurs par jour même
tu sniffes du calva?

Guy M. a dit…

@ Lémi,

Non, mon élégance capillaire, avec une raie à gauche qu'un premier ministre pourrait m'envier, n'est pas décapotable !

(Pour les échantillons de shampoing, je suis preneur...)

@ Flo Py,

Pfff...

Pour le reste, tu verras avec Lémi.

@ Schlomo,

Le calva ? En intraveineuse.

JBB a dit…

En intraveineuse ? Je ne résiste pas au plaisir de recopier ici Le mode d'emploi du journalisme gonzo, par le grand Hunter S Thompson lui-même :

"Une sereingue hypodermique, contenance un demi-litre, longueur 25 centimètres (genre utilisé pour les ponctions lombaires et soins aux taureaux) ; La remplir à ras-bord de rhum, de téquila ou de Wild Turkey, puis injecter la totalité du contenu dans le ventre, à travers le nombril. S'ensuivera un flash formidable."

Guy M. a dit…

La méthode intra-gras-du-bide est rapide, elle aussi, anéfé.

Merci de ces éclaicissements.