mercredi 24 novembre 2010

La mauvaise réputation de Stéphane Hessel

On peut, si l'occasion se présente, lire dans le dernier numéro (n° 3176) du magazine Télérama, un article intitulé La flamme de la Résistance, surtitré La colère citoyenne de Stéphane Hessel fait un carton en librairie. Son auteur, Thierry Leclère, y rend compte du succès rencontré par la petite brochure de Stéphane Hessel, récemment parue. Cette demi page étant, bien sûr, rédigée dans le plus pur style de la maison Télérama, il serait dommage de vous priver de son incipit:

Au moment où l'oracle noir Michel Houellebecq, avec sa France neurasthénique, muséifiée, monte sur les cimes des ventes, nous décrivant un avenir aussi radieux qu'un 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, un étonnant petit bouquin de trente pages, sorte d'Astérix au pays du Goncourt, s'installe depuis quelques semaines en tête du palmarès des ventes d'essais. Dans la bien nommée collection « Ceux qui marchent contre le vent », un petit éditeur de Montpellier, Indigène, fait un carton avec Indignez-vous ! , le dernier coup de gueule du plus vert de nos nonagénaires. A 93 ans, l'optimisme combatif du pamphlétaire Stéphane Hessel vaut mieux qu'une caisse entière de Prozac pour soigner le grand corps malade gaulois.

"Une caisse entière de Prozac".
Et si vous cliquez dessus,
vous arrivez sur la page de l'éditeur.


Ce succès ne doit pas réjouir tout le monde. Stéphane Hessel, par ses prises de position très critiques sur les agissements de l'état d'Israël, et notamment par son soutien à la campagne BSD France (Boycott Désinvestissement Sanctions), ne s'est pas fait que des amis de par le monde. Il s'est trouvé, paraît-il, certain de ses détracteurs pour se laisser aller à des inscriptions murales, rapidement effacées, dont la haute tenue littéraire et métaphorique ne masquait pas, pour donner dans l'euphémisme, une très profonde inimitié.

On a vu comment, à la suite de sa mise en cause par un articulet inepte de madame Catherine David, monsieur Pierre-André Taguieff a entretenu une correspondance pleurnicharde qu'il a accepté de rendre publique dans le Nouvel Observateur. Au cours de cet échange qui tourne vite au bavardage entre intellectuels microcosmiques, notre Caliméro, victime d'«attaques (...) venant de milieux communistes, islamistes et "antisionistes" professionnels», semble assez soucieux de rétablir une certaine vérité sur la personnalité de Stéphane Hessel...

Dans cette entreprise, il aura reçu, entre temps, le soutien de madame Bernice Dubois, qui a publié en lettre ouvert sa propre réponse à madame David.

L'en-tête de l'article présente madame Dubois comme "féministe historique" et comme "déléguée du MAPP à l'ONU". Je puis me faire une idée de la première de ces deux qualités, mais j'avoue que cette expression me fait toujours un peu sourire lorsque je la rencontre. J'ai un peu honte, mais je me console en pensant que ladite expression fait hurler de rire la plupart de mes amies qui ont l'âge, elles aussi, d'être "historiques" mais qui revendiquent le droit d'être appelées "féministes préhistoriques". L'acronyme MAPP désigne le Mouvement pour l'abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et de discriminations sexistes. On pourra trouver ici (en page 5) un résumé de l'intervention de madame Dubois, au nom de cette organisation, lors de la dernière journée de la conférence d'examen de Durban, en 2009.

Plus récemment, madame Bernice Dubois s'est associée avec messieurs Alexandre Feigenbaum et Kébir Jbill pour la rédaction d'un livre intitulé Recettes pour l'anéantissement du peuple juif, paru fin septembre aux éditions "l'A part de l'esprit". Elle partage les honneurs du catalogue de cet éditeur de Turquant (Maine-et-Loire) avec l'intéressant ouvrage de madame Marylise Pompignac-Poisson et monsieur Vincent Coupry, L'enfant et le chiot: hyperactivité et trouble du comportement social.

Une couverture éloquente.

Dans sa réponse à madame Catherine David, madame Dubois entend, bien sûr, s'indigner du parallèle que celle-ci avait cru pouvoir faire entre Sakineh, "victime d’un régime totalitaire, meurtrier pour les femmes (...), et d’un intégrisme islamiste barbare", et Stéphane Hessel, "homme politique" qui "n’est victime que de ses propres mensonges".

Et elle s'emploie à vigoureusement dénoncer ces "mensonges".

Commençons par celui-ci:

Il a voulu, après la mort de René Cassin mais jamais auparavant, se faire passer pour « l’un des rédacteurs » de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948). Le problème est qu'il n’a nullement contribué à la rédaction de la Déclaration, contrairement à ce qu’il affirme çà et là.

Contrairement à ce que l'on pourrait attendre de la part d'une si assurée dénonciatrice, madame Dubois ne met en évidence aucune intervention où Stéphane Hessel dit "j'ai rédigé la déclaration universelle des droits de l'homme". Mais elle cite des "propos qu’il a tenus, publiés le 10 décembre 2008 sur le site de l’ONU", qui se terminent bel et bien par:

"J'assistais aux séances et j'écoutais ce qu'on disait mais je n'ai pas rédigé la Déclaration. J'ai été témoin de cette période exceptionnelle."

Madame Dubois pourra désormais compléter sa collection de "mensonges" de Stéphane Hessel par cette réponse qu'il fait dans l'entrevue que vient de publier l'hebdomadaire Politis (n° 1126).

Politis: Vous avez été l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ces droits vous semblent-ils respectés ?

Stéphane Hessel: C'est l'occasion pour moi de revenir sur deux idées fausses. La première est que j'aurais fait partie du Conseil national de la Résistance. Or, à l'époque, j'étais à Londres, au Bureau central de renseignements et d'action. J'ai donc suivi de près le travail des camarades en France que Jean Moulin avait réussi à réunir sur un programme remarquable et important. Ce programme du CNR a été rédigé de façon intelligente par des gens qui avaient une merveilleuse liberté, puisque résistants et non pas au gouvernement. J'étais au corant de ce programme, je l'ai soutenu, mais je n'ai pas participé à sa rédaction !

L'autre erreur est de m'accorder le rôle de corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Plus précisément, en 1948, j'étais à New-York, principal collaborateur du secrétaiore général adjoint chargé des droits de l'homme et des questions sociales, Henri Laugier. A ce titre, j'assistais en permanence aux réunions de la Commission dans laquelle siégeait René Cassin, principal rédacteur de la Déclaration. On peut donc dire que j'ai assisté à la rédaction de très près et de bout en bout. Mais de là à prétendre que j'en ai été corédacteur ! Bref, le général de Gaulle et René Cassin auraient eu un rôle mineur, et j'aurais tout fait ! Cela commence à me peser ! Cela dit, ce sont deux textes auxquels je me réfère volontiers. Parce que l'un, pour la France, et l'autre, pour le monde, sont des programmes importants.


La suite est dans ce numéro,
peut-être encore en kiosque...

Mais avant d'en venir à cette affaire, madame Bernice Dubois avait tenu à pointer un autre "mensonge":

Il aurait voulu se faire passer pour un juif victime des Nazis. (Pourquoi ? mystère !) Il n’est juif que selon la définition hitlérienne du judaïsme (ses grands-parents paternels sont convertis au protestantisme et du côté maternel, aucune trace de judéité). Il fut interné, pour moins d’un an, comme résistant (déporté politique), ce qui est tout à son honneur, mais nullement comme Juif (déporté racial), sans quoi il ne s’en serait pas tiré à si bon compte.

Là encore, on attend que madame Dubois cite un texte de Stéphane Hessel se présentant comme "juif victime des Nazis"...

Attente déçue.

En revanche, madame Dubois tient à nous faire deviner pourquoi Stéphane Hessel, résistant déporté "pour moins d'un an" car évadé à la seconde tentative, s'en est "tiré à si bon compte".

Dans ses mémoires (Danse avec le siècle, Paris, 1997, p. 90), il reconnaît avoir été, dans le camp de Rottleberode, « pris en sympathie par les deux Prominenten de ce petit camp, le Kapo Walter et le Schreiber Ulbricht ». Et l’ancien déporté politique Hessel ajoute : « Ils me font porter pâle et travailler auprès d’eux. Je profite des privilèges que ces déportés expérimentés ont acquis pour eux et pour leurs protégés : meilleure nourriture, un peu plus de place dans les châlits. Je dois ces faveurs à ma pratique de la langue allemande (…). Et, grâce à eux, je m’initie au fonctionnement administratif du camp. Ces tâches gestionnaires (…), les SS les ont confiées aux détenus ».

Vous pouvez voir que nous sommes assez loin d'une dénonciation publique d'un "mensonge". Le procédé utilisé par madame Dubois pour en arriver là semble assez difficile à qualifier. Peut-être est-il seulement inqualifiable.

On en viendrait presque à regretter la franchise puérile du mur Facebook du "Professeur Taguieff"...

4 commentaires:

Marianne a dit…

Le pourquoi de cette dame Dubois pour démolir Stéphane Hessel a til été identifié ? cherche- t- elle une certaine notoriété à travers lui ?
Je ne connais pas la dame.Je connais Stéphane Hessel . Sa dernière apparition dans le petit écran , expliquant ses amours extraconjugales avait quelque chose de savoureux et d'élégant.

Guy M. a dit…

Nos deux antagonistes ont l'un et l'autre des positions fermes sur l'état d'Israël... Cela est suffisant.

Voici le résumé de l'éditeur du livre auquel a participé madame Dubois:

"Les auteurs se penchent sur la propagande antisioniste qui alimente les discours de l'extrême droite, de l'extrême gauche, des fondamentalistes islamiques, de la presse, etc. Ils dressent un constat de la progression de la diffamation des Juifs et d'Israël dans la société."

leTerrier a dit…

Procédés inqualifiables en effet —les qualifier serait rentrer dans le piège de la polarisation.
Le but du jeu est pourtant identifiable : afin d'empêcher l'indignation, et même la simple pitié, noyer le poisson. Car à aucun moment il n'est répondu sur le fond de l'affaire qui reste à tout le moins l'humiliation quotidienne des Palestiniens et la spirale prévisible de violence qui semble en être attendue, de pied ferme (, de plomb durci).
Même si l'on ne peut juger de loin du traumatisme causé par les campagnes d'attentats suicides (nb: venues d'un Hamas qui fut jadis favorisé par les services d'Israël pour contrer Arafat !), on peut critiquer la politique du fait s'accomplissant déployée là-bas, par les plus forts.

P.A. Taguieff ne peut ni ne veut penser d'alternative car il est dans la théorisation de l'état d'Exception, un état paradoxalement béni par certains dirigeants qui y voit l'occasion de se soustraire à toute obligation de respecter les droits et la justice. Théorie très en vogue au temps de la montée du nazisme, et que Taguieff parmi bien d'autres, porte comme une écharpe de chef d'escadrille —fièrement car l'occasion semble trop bonne.

Les libertés que ces idéologues à courte vue prennent avec l'histoire trouvent un bel exemple dans le traitement qu'ils essayent de faire subir à la respectabilité si peu contestable de S. Hessel. Merci de remettre ainsi la pendule à l'heure.

Même aux USA, abasourdis par la communication néo-conservatrice et les guerres, on avait bien repéré ce truc usé jusqu'à la corde par l'équipe W. Bush :
« Quand le message ne vous plait pas, tirer sur le messager ! » (c-à-d. changer de sujet, et faire peur)

Vivrions nous une tentative de revival de cette politique suicidaire ? Une campagne de préparation ?

C'est une question lancinante qui me fait regretter que Catherine David finisse par admettre être d'accord (!) avec Taguieff …sur le dos du grand satan Ahmadinedjah. La ficelle est un peu grosse, je préfère sa ferme réponse à Mme Dubois.
Mais Taguieff possède une tellement belle âme et sa conscience est si bonne, si jeune, qu'il est difficile de lui résister sans doute, au téléphone !

PS : Pierre André Taguieff semble bien mal connaître son idole indestructible, Voltaire…

Guy M. a dit…

Je crois que c'est bien ça: tirer sur le messager.

Et le plus bas possible.