vendredi 19 juin 2009

Une histoire exemplaire

Sa voix est "chargée de mémoire, chargée d'expériences", car il n'est pas de ceux qui ont fait le tri sélectif de leurs souvenirs et il n'est pas de ceux que les épreuves ont usés et désabusés.

Son nom est Georges Gumpel.

Georges Gumpel est un retraité septuagénaire. Il habite à Lyon. Français juif, fils de déporté mort pour la France, il a été caché pendant la Seconde Guerre mondiale par des familles de résistants. Il fut partie civile au procès de Klaus Barbie (jugé à Lyon en 1987). Il est délégué de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP) pour la région Rhône-Alpes, et sympathisant actif du Réseau Education sans frontières (RESF).

En août 2008, il a accepté d'héberger pour quelque jours un jeune marocain, majeur sans-papiers, Alae Eddine El Jaadi. Cela a duré plus longtemps que prévu.

"J'avais dit que j'étais disponible en cas de besoin mais je n'avais pas prévu d'héberger quelqu'un dans la durée. Finalement, cela se passe bien: c'est un peu comme si c'était mon petit-fils, nous avons une relation de confiance, nous partageons les repas quand il est là", raconte le bouillonnant retraité, ancien fleuriste de luxe.

Comme l'indique l'épithète "bouillonnant", j'ai extrait ceci d'un article rédigé par un(e) pro de la rédaction journalistique.

De fait, la cohabitation de Georges et d'Alae Eddine a été le sujet d'un reportage de l'AFP, publié dans l'Express, et notre "bouillonnant retraité" a réussi à y placer son point de vue, nourri de sa mémoire et de son expérience.

"Le drame c'est de se retrouver à devoir faire ça aujourd'hui à nouveau: protéger des enfants, des familles, des jeunes pourchassés par le gouvernement", déplore M. Gumpel.

"Le fichage des étrangers, les quotas d'arrestations, les prisons pour étrangers: les méthodes utilisée aujourd'hui contre les sans-papiers sont les mêmes que le gouvernement de Vichy utilisait contre les Juifs", s'emporte-t-il.

"Il n'y a pas de comparaison possible entre le nazisme et la politique de l'immigration française. Le sort des sans-papier après l'expulsion, ce n'est pas les camps de concentration ou d'extermination. Mais la démarche est un peu la même: évacuer des hommes, des femmes et des enfants considérés comme 'en surnombre dans l'économie française', dans une totale indifférence quant à leur sort une fois la frontière passée", estime M. Gumpel.

Selon le/la journaliste, Georges Gumpel "déplore", "estime" et, au passage, "s'emporte". C'est son opinion. Mais les mots prononcés ne le sont pas dans l'emportement d'une indignation légitime, ils sont l'écho d'une conviction profonde. On les retrouve dans un article que monsieur Gumpel avait écrit il y a plus d'un an, et qui a été mis en ligne le 30 avril 2008 sur le site A Contresens, sous le titre 1940-2008 : la France et ses lois racistes. Un rapprochement nécessaire : du Fichier des Juifs au Fichier ELOI.

L'histoire a un curieux sens de la symétrie.

Ce n'est sûrement pas pour nous proposer un joli motif de storytelling que Georges Gumpel a accueilli chez lui Alae Eddine, mais ce qu'il a fait est d'une puissance symbolique qui devrait au moins en déranger quelques uns:

"Son histoire, c'est la mienne qui se répète"

L'administration préfectorale n'a que faire des hommes, de leurs vies, de leurs histoires, de leurs mémoires, de leurs expériences, elle administre, point-barre; alors vous imaginez bien que rien de tout cela n'a pesé lorsqu'Alae Eddine a été à sa portée.

Car, malgré ses efforts, soutenus par le RESF, Alae Eddine est toujours sans papiers.

L'article qui relate son expulsion est placé en tête sur le site du RESF. Il commence abruptement par les faits:

Mardi 16 juin 2009, vers 21 h : arrestation lors d’un contrôle sans raison apparente de deux jeunes ayant l’air maghrébin. Alae Eddine El Jaadi est "en situation administrative irrégulière". Garde à vue de 24 h.

Mercredi 17 juin vers 21 h : transfert au CRA de Lyon Saint Exupéry. La routine.

Jeudi 18 juin avant l’aube : transfert en voiture en direction d’un aéroport parisien et à 8 h 30 embarquement sur un avion de la Royal Air Maroc en direction de Casablanca.

Et se termine par:

Alae Eddine est parti avec 80 € que nous lui avons fait passer, avec les vêtements de son arrestation, il n’a pu saluer ni sa famille, sa tante qui s’est déplacée à la PAF, ni son parrain, ni ses amis.


Son parrain, c'est Georges Gumpel.
(Sa marraine est Christiane Demontès, sénatrice du Rhône.)


En précipitant les opérations, les services de la préfecture du Rhône ont réussi à éviter le passage d'Alae Eddine devant le juge des libertés et de la détention. Ils donnent ainsi à tous les tièdes mal organisés qui tardent à expulser un exemple qui peut se traduire par ce conseil: ne passez pas par la justice, surtout!

La feuille de chou n°1801 de Schlomo, "presse quotidienne radicale au capital illimité d'indignation", reproduit ce courriel:

Voila,

A.E. m’a appelé, au pied de la passerelle de l’avion via le Maroc .


Il a été transféré à Paris cette nuit ou ce matin, largement tabassé, le médecin de l’aéroport l’a soigné en refusant de faire un certificat médical !


Nous venons de prévenir RESF/Maroc pour que quelqu’un soit là pour l’aider à son arrivée.

Nous réfléchissons à la forme de riposte à mettre en place face à cette ignominie


Georges G.


(Pour vous joindre au mouvement, consulter le site du RESF.)

Pour continuer dans l'exemplaire, les autorités pourraient poursuivre Georges Gumpel au nom de la fameuse loi anti-passeurs, chère à monsieur Besson...

Il pourrait plaider coupable: comme passeur de mémoire et d'expérience, et comme passeur de solidarité.

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