mercredi 24 juin 2009

Les débordements de l'information à Calais

Il suffit de visiter quelques maisons de retraite encore accessibles aux vieux prolétaires pour constater de visu la justesse de cet ancien dicton: "Le travail, c'est la santé!"

Monsieur Hortefeux, bien fatigué après son passage au ministère de l'Identité Nationale, a été mis au Travail lors du pénultième remaniement, et, en se gardant bien d'y faire des étincelles nous revient en pleine santé et très grande forme pour s'occuper de l'Intérieur. Le passage de bâton entre lui et madame Alliot-Marie devrait se faire sans accrochage: la pile des dossiers en cours est bien tenue à jour.

Parmi eux, celui du camp No Border qui se tient à Calais depuis hier, et qui est annoncé comme devant être un grand chantier sécuritaire à haut risque, suite aux efforts plus ou moins conjugués de monsieur Pierre de Bousquet, préfet du Pas-de-Calais, de madame Natacha Bouchart, maire de Calais, de la presse locale et de bons citoyens calaisiens. Cela ne veut pas dire que l'un, l'une et les autres parlent d'une même voix, mais on assiste à une curieuse et très efficace convergence dans la pétition de principe, le jugement par anticipation ou la propagation de rumeurs de sale gueule.

Graffiti de 2007.

On prête à monsieur le préfet cette déclaration:

« Nous savons que se dissimulent, à chaque camp "No Border", de façon plus ou moins évidente et concertée avec les organisateurs, des personnes qui sont ultraviolentes. Nous ne les laisserons pas faire. »

Fort de ce savoir, monsieur le préfet a déployé un dispositif qui a grandement impressionné Vincent Depecker, journaliste à Nord Littoral, qui estime, dans son article du 18 juin, à 1500 le nombre de policiers qui seront présents.

On peut glaner, un peu en vrac, dans son papier:

« On ne peut rien dire, confirme un gendarme. Tout ce que je peux vous dire c'est qu'en 30 ans de carrière, je n'ai jamais vu ça. »

Au tribunal de Boulogne-sur-Mer, un parquetier prendra une permanence uniquement pour répondre - si besoin - aux casseurs.


Une vingtaine de chevaux sont également arrivés sur le Calaisis. Ces brigades montées sont spécialisées dans les interventions en pleines émeutes.

Toutes les brigades de gendarmerie sont mobilisées avec des renforts de réservistes au cas où.

Au centre hospitalier de Calais, on se tient prêt. « Il y a un niveau de vigilance de façon à anticiper un éventuel afflux de patients »


Chez les sapeurs-pompiers, les gardes de la semaine prochaine ont été renforcées. À Marck et Calais, les pompiers d'ordinaire à quinze passeront à dix-neuf.

Par ailleurs, et en outre, monsieur le préfet a pris des mesures drastiques, pas de vente d'alcool au détail, ni d'essence, ni de gaz, et a joué les humoristes en interdisant tout port d'engin pyrotechnique.

Notre témoin de Nord Littoral, Vincent Depecker, s'inquiète à juste titre pour le commerce calaisien...

Madame Natacha Bouchart, maire de la ville, et, à ce titre, fort soucieuse du bien-être de ses concitoyens et électeurs, s'en inquiète également.

Dans l'affaire, elle a bien pris soin de rester à l'écart des prises de décision, en refusant de rencontrer les organisateurs du camp. On peut lire dans Nord Eclair (article du 18 juin):

La mairie UMP de Calais, d'entrée de jeu, a refusé tout contact avec les No Border. "Il est hors de question que je les rencontre", a affirmé Natacha Bouchart, le maire, "et puis à qui on parle? Qui est qui? On ne sait pas les identifier".

Il est vrai que si l'on s'adresse à madame Bouchart, on sait assez rapidement à qui on parle... (Sur ce point, je ne peux que vous conseiller de lire le billet qu'Olivier Bonnet lui a dédié .)

Elle se trouve ainsi tout à fait libre de faire de la surenchère tout en critiquant le choix fait par le préfet du terrain réquisitionné pour y autoriser le camp.

"Comment peut-on croire qu'on va contrôler la situation alors que c'est au Beau-Marais, sur un terrain mitoyen au foyer Tom Souville où je rappelle résident des personnes handicapées. Et puis, c'est à proximité immédiate des habitations. Le choix de ce terrain a donc été réalisé d'une façon qui m'interpelle."

Les propos de cette dame interpellée sont rapportés dans un article de l'indispensable Nord Littoral, daté du 20 juin et signé T.S-M. Le lendemain le/la même T.S-M. nous offre un article décrivant l'installation du camp, où l'on peut trouver:

Jean-Luc Colin, directeur du foyer Tom Souville qui accueille une cinquantaine de personnes handicapées, s'est également rendu sur place pour prendre la température. Il a ainsi appris que les abords du foyer allaient être réservés au camping, afin d'y faire le moins de bruit possible et donc de ne pas déranger les résidents avec l'animation qui régnera tout au long de la journée dans les autres parties du camp.

Par le ton général, cet article tranche singulièrement avec celui que Laurent Renault, dans la Voix du Nord du 19 juin, a intitulé Le camp "No Border", une zone de non-droit.

Rien que cela.

Notre vocaliste nordiste, qui doit être très fier de sa carte de presse, n'arrive manifestement pas à avaler la volonté des organisateurs du camp de canaliser quelque peu la curiosité médiatique. Passons sur son chapeau, et citons son premier paragraphe:

Le camp No Border, fait de militants d'extrême-gauche et d'anarchistes, se fixera le 23 juin au Beau-Marais, dans le bois situé le long de l'avenue Normandie-Niemen. Et ces militants qui dénoncent les frontières, sont pour la libre circulation dans tous les pays... s'enferment, se replient, s'isolent et déterminent une zone de non-droit. "La police ? Non, elle ne sera pas la bienvenue dans le camp", assure le chargé de presse des No Border qui affirme que tout sera mis en œuvre pour éviter les affrontements. "Pour participer aux ateliers proposés durant cette semaine, il faudra se présenter à l'accueil. Les journalistes ? Non, ils ne se promèneront pas seuls dans le camp, pas de photos non plus sauf si autorisation spéciale..." Il faudra s'en tenir aux communiqués. Soit.

C'est rageant, non ?
Photo AFP.


Vexé comme un pou qui vient, d'un saut, de rater sa pucelle, ce pauvre râleur de Laurent Renault a pu se rendre hier au camp. C'était portes ouvertes. Il en a profité pour retranscrire les propos d'un certain Michel:

Michel s'est rendu hier après-midi dans le camp No border. "Je suis juste un Calaisien venu m'informer. J'ai lu la presse comme tout le monde, j'ai entendu les prises de position... Je viens à la source." Il écoute et suit les journalistes qui, hier à 14 h 30, ont eu droit à une visite guidée. Et de s'adresser à la chargée de communication : "Vous avez de grandes idées, vous parlez des politiques, des migrants... Et les Calaisiens dans tout ça ? Vous n'en parlez pas ! Vous ne leur avez pas demandé leur avis, ce qu'ils pensaient de tout ça ! Rien. Que les gens se soient battus ou non entre temps, que les forces de police se soient déplacées pour rien... Lundi, vous repartirez chez vous et rien n'aura changé. Les Calaisiens doivent encore subir." Les réponses apportées ne lui font ni chaud ni froid.

On sent très bien que la contemplation des grandes idées, ça n'a jamais donné le vertige à Michel.

Et puis, le Calaisien a depuis longtemps la hantise d'être pris en otage.

J'espère bien que La Voix du Nord reviendra demain sur l'opération menée ce matin au centre de rétention administrative de Lesquin, ainsi annoncée*:

Depuis ce matin à 5h15, une trentaine de personnes bloquent le camp pour étranger-e-s de Lesquin. La grille d'accès du camp est bloquée à l'aide de lock-ons, c'est-à-dire des tubes en métal dans lesquels ces personnes ont introduit leurs bras.

Dans le cadre du camp noborder de cette semaine qui réclame la liberté de circulation pour tout-e-s, des individu-e-s ont voulu passer à une action de désobéissance en empêchant l’expulsion des migrant-e-s prévues cette journée du 24 juin.

Nous voulons montrer notre détermination contre les politiques française et européenne de déportation des sans-papiers. Par là nous démontrons que quelque soit la répression étatique et le nombre de forces de l’ordre mobilisées, il est possible de s'opposer effectivement aux politiques répressives en matière d'immigration, il est possible de mettre des grains de sable dans la machine à expulser.

Pour compléter l'information:

Une trentaine de militants altermondialistes français, belges, allemands, italiens et espagnols ont été interpellés et placés en garde à vue mercredi à Lille après s'être enchaînés aux grilles d'un centre de rétention administrative, a indiqué la préfecture du Nord.



*Ce communiqué peut se retrouver en intégralité sur la page de Lutte en Nord. On y trouve aussi Nomade, journal quotidien et éphémère du camp No Border de Calais.

2 commentaires:

JBB a dit…

J'adore le ton indigné de ce journaliste de la Voix du Nord, contraint de rester à la porte. Il ne doit pas avoir l'habitude de se faire traiter ainsi.

Sinon, après un début en douceur, il semble que les flics aient commencé à s'en prendre aux militants (selon un mail de la liste zpajol, que tu as dû recevoir aussi) : "Une petite manifestation était prévue en ville cet après midi, avec
le seul but de faire un petit peu de bruit (sans meme de sono) et diffuser des tracts invitant à participer a la manifestation de samedi.


Partis de la place crevecoeur, notre petite cinquantaine de
personnes étaient à peine arrivés sur l'avenue Lafayette, que plusieurs camions de CRS s'arrétaient sur la rue et se mettaient à nous poursuivre.
Sans aucune des sommations d'usage !

Dans la poursuite au moins une dizaine de personnes on été arrétées et embarqués dans les fourgons."

Guy M. a dit…

Il part sur les chapeaux de roues, ce Renault!

Ces rédactions, assez pataudes, sont un bon modèle d'insinuations fielleuses.

Pour aujourd'hui, on s'échauffe...