lundi 13 avril 2009

Un culot phénoménal

En 1969, Robert Hirsch, grand acteur de théâtre dont le talent fut bien mal utilisé par l'industrie du cinématographe, remporta un franc succès pour son incarnation dans La résistible ascension d'Arturo Ui de Bertold Brecht, mis en scène au TNP par Georges Wilson.

La pièce fut ensuite massacrée par un Guy Bedos lamentable...

Je trouve maintenant que nous étions bien sensibles aux risques de résurgences d'un totalitarisme de type fasciste en ce temps-là... Car nous avons vibré au fameux et assez grandiloquent « Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. » Et nous nous sommes jurés de ne pas l'oublier.

Certes quelques têtes de pioche, armées des manches qui vont avec, essayaient de s'imposer ici ou là, et paradaient dans les campus, mais ils étaient bien loin du pouvoir (on peut voir qu'ils s'en sont pas mal rapproché) et, divine surprise, un vieux général décati, qui s'était pris pour la Lafrance* et s'était imposé par un coup d'état occulté, venait de quitter la présidence de la république après un référendum que l'on savait risqué. Le 27 avril 1969, le « non » l'emportait avec 52,4% des voix. Respectueux du peuple souverain, de Gaulle posa sa démission sans tarder puisqu'à minuit dix, un communiqué laconique tombait: "Je cesse d'exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi."

Le nouveau président élu n'avait rien d'un anarchiste débridé, mais ne semblait pas devoir tourner trop fasciste.

Arrivée de Georges Pompidou en visite au Gabon, en 1971.
Photo de Guy Le Querrec**, agence Magnum.

Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui fut écrite en 1941 par Brecht, alors réfugié en Finlande. Il s'y inspire de l'arrivée au pouvoir d’un célèbre petit peintre viennois raté, et transpose sa résistible ascension dans le Chicago des années 30. Il en fait une farce féroce que, dans mon lointain souvenir, l'art de Robert Hirsch élevait au sublime, s'il existe un sublime de la bouffonnerie.

Bien sûr, la dramaturgie de Bertold Brecht doit être maintenant considérée comme ringarde, et les aventures d'un truand grotesque, engagé par le trust du chou-fleur pour sauver son bisenesse de la crise, serait peut-être considérées comme un "excès de caricature".

Une affiche du TNP, due à Siné,
mais j'ignore si elle date de 1969.


Et pourtant...

La fable de Brecht est encore très marquée par ce qui fut, pour beaucoup d'intellectuels allemands, l'impression première face à la montée en puissance et au pouvoir du petit caporal caractériel et de ses amis: l'incrédulité. Beaucoup de ceux qui ont pu écrire leurs souvenirs de cette période soulignent à quel point il semblait incroyable que l'Allemagne, ce pays jeune mais d'ancienne et haute culture, puisse porter durablement à sa tête cette bande de médiocres et d'incultes dont la vulgarité et l'inélégance sautaient aux yeux avec évidence. Ils ont eu peu de temps pour ironiser sur les mauvaises manières de ces ploucs et leur manque absolu de vergogne...

Je peux me tromper, mais il me semble que nous connaissons bien ce sentiment.

Moi qui suis un plouc authentique, mais éduqué à respecter une certaine "décence commune", il m'arrive, en lisant certaines informations, d'entendre ma grand mère s'exclamer "Ah ! mais ils sont d'un culot phénoménal !"

On en trouverait maints exemples.

Inutile de parler de diverses nominations urgentes, comme celle de monsieur Pérol à la tête du nouveau groupe Caisse d'Epargne-Banque Populaire, qui, après affirmation non vergogneuse d'un avis positif mais informel, donc quasi inexistant, de la commission de déontologie ad hoc, s'enlise dans les auditions et procédures non suspensives...

Les acrobates de la jurisprudence ont tout prévu.

Le 10 avril, le ministère de Notre Identité de plus en plus honteuse a publié le résultat de son appel d'offre. A partir du 2 juin, six associations seront donc habilitées pour intervenir dans les Centres de Rétention Administratives pour y effectuer une mission d'accompagnement et d'aide juridique aux personnes "retenues".

Parmi elles, on note la présence du collectif Respect que Laetitia Van Eeckhout présente ainsi:

Enfin, inconnu des principaux acteurs de la défense du droit des étrangers, le Collectif Respect interviendra dans les centres de rétention d'outre-mer (lot 5) et notamment celui de Mayotte d'où sont expulsées chaque année quelque 16 000 personnes... Ce collectif a été créé en 2003 au lendemain du match de football France-Algérie au cours duquel La Marseillaise avait été sifflée. Il a pour but de promouvoir le respect dû à l'autorité légitime, et en particulier aux institutions et au président de la République. Jusqu'en décembre 2008, son président était Frédéric Bard, membre de l'UMP Paris et chargé de mission au département développement solidaire du ministère de l'immigration.

Face à cela, on comprend que la Cimade semble un peu juste, au regard des compétences acquises sur le terrain...

L'excellent blogue Combats pour les droits de l'homme, qu'il faut absolument consulter sur ce sujet, parle de candidature Bonux.

Le communiqué ministériel conclut sans vergogne aucune:

Eric Besson a rappelé : « J’attache une grande importance au respect des droits fondamentaux des étrangers, quelle que soit leur situation administrative au regard du droit du séjour. Les étrangers en situation irrégulière, pour la plupart victimes des filières de l’immigration clandestine, doivent être traités avec dignité. Cette mission d’accompagnement des étrangers en situation irrégulière maintenus en rétention dans l’exercice de leurs droits, financée par l’Etat, honore notre pays. Avec un délai maximum de rétention de 32 jours, parmi les plus faibles en Europe, un taux d’occupation des centres de rétention administrative inférieur à 66%, la mise à disposition de services de soins et d’hébergement d’urgence et le soutien financier aux associations humanitaires qui viennent en aide à ceux qui sont en détresse, la France démontre sa capacité à conjuguer en permanence fermeté et humanité. »

"Fermeté et humanité", ah ! oui, c'est bien vu !

La bête immonde ne "surgit" pas nécessairement. Elle peut apparaître bien gentiment, à l'usure en quelque sorte, peut-être en s'appuyant sur un culot phénoménal et sur des arguties juridiques de plus en plus formelles...

Je ne sais pas.

Mais je sais que la force, qui fut un des grands outils de contrainte et d'asservissement du petit peintre viennois, elle est prête.



* Autant s'offrir une petite cuistrerie pseudo-lacanienne en évoquant cette grande figure paternelle... Freudiens, à vos marques !

** J'ai quelque scrupule à "emprunter", en la scannant, une image à ce très grand photographe qu'est Guy Le Querrec, que Magali Jauffret appelle justement "anti-voleur d'images"...

J'aimerais mieux que l'on voie cela comme un hommage maladroit.

Cette photographie figure dans le livret accompagnant African Flashback, du quartet de photo-jazz formé par Aldo Romano, Louis Sclavis, Henri Texier et Guy Le Querrec.

4 commentaires:

Dominique a dit…

Je vous livre la dernière du nouveau régime : le gouvernement a décidé de prendre sur le temps de propositions de lois du parlement afin de faire adopter le projet de loi Hadopi qui avait été retoqué parce que de méchants socialistes se cachaient derrière des rideaux, des colonnes ou dans des couloirs comme s'il n'y avait pas eu de membres de la majorité pour voter contre ! (La distinction proposition et projet est importante en matière législative) alors qu'il parlait de revaloriser le parlement et de lui donner plus de droits : il a pour cela éliminé une proposition parlementaire (sans aucun intérêt à mon avis, mais ce n'est pas le blème). Où va-t-on ? à

Guy M. a dit…

Ils sont médiocres et incultes, mais qu'ils sont inventifs, débrouillards et astucieux dans leur domaine!

Anne a dit…

Bonjour,

un petit peu d'antidote - certaines interventions sont...succulentes, pour tous les goûts

http://feeds.univ-lyon2.fr/NuitBlancheUniversite

(http://www.univ-lyon2.fr/1239022340666/0/fiche___actualite/)

Guy M. a dit…

Merci de nous rappeler que l'on peut aussi être doué, cultivé et inventif!

Les universités en donnent un copieux échantillon.