dimanche 21 septembre 2008

Des vies à l'ombre des murs



Nous savons bien que c'est à l'ombre des murs des prisons que s'épanouissent, dans notre société, les figures les plus nettement dessinées de l'intolérable, mais nous oublions trop souvent que l'ombre s'étend de chaque côté de ces murs et vient recouvrir aussi les proches des personnes détenues.

Je crois bien que la majorité des braves gens qui ont attrapé dès le berceau la bonne conscience s'accommode fort bien de voir "ces gens-là" raser les murs de la prison pour rejoindre le parloir... Mais je ne partage que rarement l'opinion des braves gens, et je me réjouis d'apprendre la naissance d'une association, l'ARPPI, dont voici le premier communiqué (trouvé sur l'En-dehors):

Association pour le respect des proches de personnes incarcérées

Notre association est née à l'initiative de quelques proches de personnes détenues.

Nous en avons assez des humiliations quotidiennes de l'Administration pénitentiaire lors des parloirs, lors des prises de rendez-vous, des attentes interminables au téléphone qu'elle nous impose, des menaces, des parloirs insalubres, des insultes, des brimades en tout genre, mais aussi du système judiciaire qui n'est qu'une machine à broyer.

Nous en avons aussi assez d'un système qui nous isole les uns des autres, nous cloisonne, nous dissocie et surtout nous désolidarise.

Nous avons décidé de faire respecter nos droits, notre dignité en nous soutenant moralement et juridiquement, mais aussi en luttant tous ensemble contre l'offensive sécuritaire : transferts abusifs, omerta carcérale, condamnation de familles entières, rétention de sûreté, allongement des peines, difficultés d'obtenir des permissions de sorties ou des libérations conditionnelles, etc.

Nous appelons à cette assemblée générale afin de se rencontrer, de discuter et de s'organiser.

Les regroupements, les associations, la camaraderie, sur les terres de la solidarité pourraient voir fleurir des révoltes devant toutes les prisons de France et les libertés germer, pousser sur le terreau de la fraternité. Pour cela, refusons la fatalité carcérale !

Cette assemblée générale aura lieu le jeudi 16 octobre à 19 heures, au CICP, 21ter rue Voltaire, dans le onzième arrondissement de Paris, au métro Rue des Boulets.

L'ARPPI possède un site internet, où vous pourrez trouver des compléments et des témoignages.

Porte de prison, selon Lego (boite 7744)

Des témoignages, Gwénola Ricordeau (dont j'ai déjà parlé ici) a dû en recueillir et transcrire et analyser une centaine pour son travail de thésarde en sociologie. Ce travail s'est achevé avec succès par la soutenance de sa thèse de doctorat, intitulée "Les relations familiales à l'épreuve de l'incarcération. Solidarités et sentiments à l'ombre des murs", en 2005, à l'Université de le Sorbonne Paris IV.

De cette thèse, elle a tiré un livre, intitulé "Les détenus et leurs proches. Solidarités et sentiments à l'ombre des murs", qui est paru en avril aux éditions Autrement. Je ne sais pas trop ce qu'elle a élagué dans l'appareil un peu lourdingue d'un travail universitaire, mais elle propose là un livre très accessible à monsieur et madame Toutunchacun.

Et dont la lecture pourra leur faire beaucoup de bien.


On examine d'abord par quels moyens peuvent être maintenus les contacts entre les détenus et leurs proches: visites (un chapitre est consacré au parloir), courrier, téléphones, colis... Les contraintes qui pèsent sur ces médias ne sont pas éludés. On apprend, par exemple que les visiteurs passent en général moins de temps avec le détenu qu'en contrôles et fouilles exigés par l'administration pénitentiaire... Les chapitres suivants étudient comment se distendent les liens, s'érodent les sentiments, comment se créent d'autre liens, apparaissent d'autres solidarités. Un chapitre est consacré à poser clairement le problème de la sexualité en prison. Enfin vient la question de "l'après".

Parloir à la maison d’arrêt de Metz de femmes en 1990
1990 © Jane Evelyn Atwood

La force du livre de Gwénola Ricordeau réside peut-être dans ce que l'on pourrait le plus critiquer: l'implication personnelle de l'auteure, à la fois chercheuse en sociologie et militante proche d'amis détenus.

La sociologue dresse un constat, distancié, étayé de nombreuses citations d'entretiens et de renvois à d'autres études, mais elle ne joue pas le jeu (ou la comédie) illusoire de l'objectivité "scientifique". Comme on disait dans ma jeunesse: elle dit d'où elle parle.

Et ce n'est pas moi qui vais lui reprocher.


PS: J'ai lu ce livre vers la fin juin, mais en ai relu des passages un mois plus tard, en ayant en tête cette question: Face à l'épreuve de la prison qui entame leur vie, comment font certains pour rester fidèles à eux-mêmes ?

Je me demande si, au fond, ce n'est pas cette fidélité à soi, assumée, qui me touche le plus dans l'entreprise de Gwénola Ricordeau.

Aucun commentaire: