vendredi 29 juillet 2011

Un retour discret

La France est généreuse...

C'était, vous en souvient-il, l'une des blagues préférées de monsieur Éric Besson, à l'époque où il occupait le poste de ministre des Expulsions. Personne, à ma connaissance, ne lui a demandé pourquoi cela se voyait si peu.

Il aurait certainement répondu que la France a la générosité discrète.

(Et en insistant un peu du côté des "pourquoi ?", peut-être aurait-il fait une allusion au danger qu'il y a de créer un "appel d'air"...)

Il y presque quinze mois, le 4 mai 2010, ses services avaient approuvé la décision généreuse d'offrir à la famille Vrenezi un aller simple pour le Kosovo. Et preuve qu'on n'y regardait pas de si près - au risque de flanquer des aigreurs d'estomac à la Cour des Comptes -, on avait même tout spécialement dépêché, la veille au soir, un groupe d'une trentaine de gendarmes à l'institut d'éducation motrice de Freyming-Merlebach (Moselle) où le second de la fratrie, Ardi, avait été admis plusieurs mois avant.

La famille Vrenezi au complet.

Ceux qui étaient à l'IEM ce soir-là pouvaient-ils oublier ?

Certainement pas Sylvie Favaro :

J’étais là le soir où les gendarmes sont venus chercher Ardi à l’institut de Freyming-Merlebach. J’ai accompagné l’adolescent jusque dans l’ambulance, je lui avais promis qu’il reviendrait, sans y croire vraiment.

Avec ses ami(e)s du comité de soutien, elle a fini par y croire, malgré les embûches, les mensonges, les découragements et les fausses promesses...

Et finalement la promesse qui a été tenue, ce n'est pas celle des autorités assurant qu'Ardi pouvant être soigné de manière convenable au Kosovo, mais c'est celle de l'infirmière : Ardi Vrenezi, ses parents, son frère et sa sœur sont revenus en France le 28 juillet. Ils "ont atterri vers 20H00 sur la base aérienne 128 de Metz-Frescaty à bord d'un avion sanitaire médicalisé", nous dit la dépêche de l'AFP.

Le retour d'Ardi, vu de loin.
(Photo Karim Siari/Le Républicain Lorrain.)

Je ne suis par sûr que le ministère de l'Intérieur, qui est maintenant en charge des Expulsions, ait voulu faire acte de générosité en accordant à Ardi et sa famille un visa de trois mois - ce qui est, convenez-en, plutôt parcimonieux -, mais il a tenu à ce que leur retour sur le sol français soit empreint de la plus grande retenue. On ne pouvait pourtant craindre qu'on accuse les personnels dépendant de la place Beauvau d'être atteints d'humanitarisme hypertrophié...

Dans son article du Républicain Lorrain, intitulé Ardi rapatrié en catimini, Stéphane Mazzucotelli fait le constat de cette ferme volonté de discrétion :

Personne, en France, n’a été clairement tenu au courant de la date, de l’heure et des conditions du rapatriement.(...)

(...) La famille a voyagé en vol direct depuis Pristina dans un avion médical spécialement affrété par l’État français. Mais au ministère de l’Intérieur, on restait extrêmement vague sur les détails de ce retour, quelques heures plus tôt. Publicité minimum autour de ce cas embarrassant. Même les proches des Vrenezi, les membres des associations qui ont milité pour le retour de cet adolescent, dont l’expulsion avait d’emblée été jugée inhumaine, n’ont pas été tenus au courant.

Les soutiens d'Ardi et de sa famille ont ainsi fait le pied de grue pendant une bonne partie de la journée à l'entrée de la base aérienne 128. Ils ont bien dû constater quelques mouvements, mais les autorités ont pris soin d'évacuer la famille par une autre sortie. C'est la grande sœur d'Ardi, Mimosa, qui les a prévenus, vers 21 h, de leur arrivée à l’hôpital Bon-Secours de Metz, où son frère a été admis dans le service de pédiatrie.

Stéphane Mazzucotelli poursuit :

Isabelle Kieffer, pédiatre du jeune kosovar en France, n’a pas mâché ses mots avant de se précipiter à l’hôpital : « C’est triste et écœurant. Il n’y avait aucun risque. Nous voulions juste voir Ardi et sa famille, leur faire un petit signe, pour leur dire qu’on ne les a pas oubliés. Cela confirme que l’État français n’a pas la conscience tranquille dans cette affaire ».

Finalement, les défenseur(e)s des Vrenezi ont pu les retrouver plus tard dans la soirée, et Sylvie Favaro, qui tient fidèlement le blogue de Ardi, a promis un album photo...

Elle n'avait pas oublié son appareil...
(Photo Karim Siari/Le Républicain Lorrain.)



Ajout du 30 juillet

J'avais tout juste posté ce billet d'hier quand m'est arrivé un communiqué du RESF précisant davantage les circonstances du retour d'Ardi et de sa famille, ainsi que les conditions de leur accueil.

Bien sûr, je n'étais plus devant mon écran... Cet art que je possède de ne pas être là où il faut être m'a condamné à faire blogueur intermittent et non journaliste à plein temps.

Deux points, dans ce communiqué, peuvent attirer l'attention.

Le premier :

Ardi fut conduit à l’hôpital après être sorti de la base aérienne par une porte dérobée. A l’entrée de l’établissement, des vigiles pour en interdire l’accès aux amis et aux soutiens. Quand la mère d’Ardi sortit, accueillie avec l’émotion qu’on devine, elle imposa, avec l’appui du Dr Kieffer, que les personnes qui le connaissaient puissent visiter son fils. A la porte de la chambre, des vigiles encore et des soignants appliquant "des consignes strictes" de limitation des visites et d’interdiction de la presse reçues… de qui ? Pourquoi ?

Asllan Vrenezi et ses deux autres enfants avaient été conduits dans un foyer. Visites interdites. C’est sur le trottoir, en pleine nuit, que leurs amis, leurs connaissances et leurs soutiens les ont retrouvés et embrassés.

Décidément il semble que les "autorités" (mais lesquelles ?) aient bien du mal à ne pas voir, idéalement, la famille Vrenezi dans un centre de rétention...

Le second, sur l'arrivée de la famille à la base aérienne 128 :

Appelée sur son téléphone à l’arrivée de l’appareil, Mimoza passa le combiné à une "dame" qui l’accompagnait en disant "la dame ne veut pas téléphone". La personne en question coupa 15 fois les tentatives de communication. Qui était-elle ? De quel droit ?

Ce fait est confirmé par Isabelle Kieffer, dans le mot qu'elle a posté ce matin sur le blogue de Ardi :

Je sens le besoin d'exprimer clairement ma colère devant l'attitude des autorités, attitude qui n'étonne pas les personnes régulièrement et depuis des années confrontés à cela, mais c'est vraiment lamentable...Ce jeu de cache-cache indigne, ces mensonges depuis le début, cette arrogance de passer au-dessus des lois, cette incapacité de reconnaître qu'il y a eu dérapage, erreur, et qu'il est simplement NORMAL qu'ils réparent leur faute.

Et là au retour, le fait que des personnes se permettent de prendre le téléphone portable des mains d'une jeune femme pour couper la conversation!!! (Mimoza quand elle essayait de m'appeler ou de répondre) tout cela pour empêcher un contact direct, et pour empêcher l'accueil dans la joie de la famille...

Certes, ce petit jeu téléphonique est tout à fait indigne, et totalement ridicule. Mais cette histoire amène à relire la version quasi officielle du retour des Vrenezi donnée par la dépêche de l'AFP :

Ardi Vrenezi, 16 ans, ses parents, son frère et sa sœur âgés de respectivement 18 et 14 ans, auxquels le ministère de l'Intérieur avait délivré un visa la semaine dernière, ont atterri vers 20H00 sur la base aérienne 128 de Metz-Frescaty à bord d'un avion sanitaire médicalisé, a annoncé Joëlle Lang, membre d'un comité de soutien au jeune Kosovar.

Un médecin se trouvait également dans l'appareil affrété par les autorités françaises, a précisé Mme Lang, qui avait reçu dans la journée de Paris l'autorisation d'accueillir la famille Vrenezi à l'aéroport militaire, où les journalistes n'ont pas pu pénétrer.

A lire naïvement cette dépêche, on pourrait croire de madame Joëlle Lang, "membre d'un comité de soutien", avait pu faire le lien avec les soutiens maintenus à l'extérieur de la base...

La naïveté s'estompe considérablement lorsque l'on constate que sa présence n'est signalée que par l'AFP à qui elle "annonce" et "précise" que tout s'est bien passé.

Et on en vient à se demander ce que c'est que cette histoire de "membre d'un comité de soutien" à ce point isolé des autres, mais pourtant assez reconnu des autorités pour qu'on lui donne "l'autorisation d'accueillir la famille Vrenezi à l'aéroport militaire, où les journalistes n'ont pas pu pénétrer"...

2 commentaires:

Sylvie a dit…

Mélange incroyablement explosif d'émotions en tout genre ce jeudi 28 juillet! Colère, larmes et bonheur, angoisse aussi. Revoir Ardi enfin! Il fallait, et c'était vraiment important pour moi que j'accueille Ardi que je lui caresse la joue de la même façon que le soir de son expulsion dans l'ambulance! Je suis certaine qu'Ardi a compris cela jeudi soir! Allez je vais préparer cet album! MERCI pour votre soutien tout au long de cette année!

Guy M. a dit…

Je comprends que c'était important !

L'album dit beaucoup de choses... Et cette fatigue qui semble tomber sur tout le monde autour de la table...

Autre chose commence, mais on sent qu'il ne faut rien lâcher.

Alors, on continue.