mercredi 26 mars 2008

Tous contre les idées reçues

Pourfendeur d'idées reçues, c'est devenu une occupation à plein temps pour les (encore) jeunes éditorialistes, un agréable passe-temps de fin de carrière pour les (grands) universitaires.

Que ce soit par Rémi Soulier dans Le Figaro, ou par Roger-Pol Droit dans Le Monde, c'est comme iconoclaste reconnu que l'on nous présente Paul Veyne, historien, professeur au Collège de France, à l'occasion de la parution de son dernier livre Foucault. Sa pensée, sa personne (Albin Michel). Paul Veyne a été ami avec Michel Foucault, mais ce n'est une garantie de rien: Paul Veyne a également été ami avec René Char et lui a consacré un livre René Char en ses poèmes (Gallimard), qui est le tribut le plus prosaïque que l'on pouvait déposer le long de son œuvre. D'ailleurs, commenter, expliquer, "décrypter" les poèmes, c'est tout à fait comme la chasse aux papillons: d'une vivante pulsation colorée et lumineuse, vous faites un lépidoptère épinglé, étiqueté et mort. La poésie, il vaut mieux l'enluminer.



Le martinet de René Char enluminé par Juan Miró.


Que prétend nous révéler Paul Veyne de Michel Foucault?

Selon Rémi Soulié, "Paul Veyne fait de son 'héros' un successeur de Nietzsche". C'est bien possible, mais, il faut reconnaître que la tombe de Nietzsche est un de ces lieux communs où le meilleur et le pire du siècle dernier se sont si souvent rassemblés que n'importe qui peut se proclamer nietzschéen, seul possesseur de la "bonne lecture".

Selon Roger-Pol Droit, "à entendre (Paul Veyne), l'image d'un philosophe rebelle, subversif, soixante-huitard, gauchiste, résolu à faire du passé table rase et à en finir avec le vieux monde est tout bonnement fausse." Cette image est peut-être celle que se font les lecteurs "historiques" du Monde et du Figaro, mais pas les lecteurs de Foucault. On comprend vite que pour l'aborder, il faut se "déprendre" de toute représentation idéologique, et le suivre un bon moment avant de reprendre les outils qu'il vous met dans les mains. Observez-le dans sa recherche sur la naissance et la mise en place de la rationalité économique (cours au Collège de France de 1977 à 1979). Mis à part quelques sous-entendus (sur lesquels on pourrait discuter), on ne discerne aucune prise de position de type idéologique. Foucault use d'une sorte de scalpel intellectuel très froid qui tranche dans les épaisseurs historiques, isole les formations ganglionnaires, révèle leurs adhérences aux divers organes… A vous ensuite de conclure et éventuellement de continuer: ce qui s'est développé là est-il un organe vital ou une tumeur?

A Roger-Pol Droit qui lui demande: "Il (Foucault) ne se contentait pas d'écrire ou de signer des pétitions, on le voyait dans des manifestations, des rassemblements protestataires, à la porte des prisons ou des tribunaux. N'était-ce pas une activité révolutionnaire?", Paul Veyne répond: "Non, parce qu'il n'agissait jamais pour des motifs abstraits et généraux, organisés selon un plan d'ensemble. Il s'engageait toujours au coup par coup, en fonction de ses indignations, pour des causes qui l'avaient touché personnellement. Ce qui le décidait, c'était toujours une réaction affective à un point de détail. Finalement, il avait un côté redresseur de torts." Ceux qui ont observé ces années-là savent bien que les révoltes sur des "points de détail" ont été plus subversives (et révolutionnaires) que le désir de révolution et le rêve du grand soir des organisations ossifiées.

Concluant son entretien Roger-Pol Droit aborde avec Paul Veyne les relations de Foucault avec le pouvoir socialiste au début des années 1980, et nous révèle qu'il aurait envisagé, avant sa mort, un livre contre les socialistes français. "Et pourquoi donc?" "Par haine pour Mitterrand." Voilà qui bouscule terriblement les idées reçues: vous imaginez, vous, un intellectuel, faisant profession de lucidité froide, ne tombant pas à genoux devant Mitterrand?



PS: Puisqu'il est des "points de détails" qui peuvent révolter, même si l'on ne rêve pas de la révolution, n'oublions pas:

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