samedi 8 mars 2008

Suffisant, mais pas nécessaire

Depuis trois jours, je fais des cauchemars.



La lecture d'un billet de l'indispensable Françoise du blog REPUBLICÆ, annonçant le probable retour aux affaires de Claude Allègre, a provoqué chez moi cette réaction excessive.

Je croyais que Mr Allègre, après avoir tourné le bout d'essai que vous pourrez visionner ci-après, allait commencer une carrière cinématographique dans un remake des Tontons flingueurs. Il a du être recalé pour un problème de souffle et de diction.




 

NB: Cette vidéo a aussi été signalée par le Charançon Libéré dans son commentaire au billet de Françoise.

Comme on dit dans la presse du dimanche, on ne résume pas la carrière de Mr Claude Allègre, et on le fait quand même.

Ses années de formation ont été marquées par sa rencontre avec Lionel Jospin (homme politique français) au sein d'une équipe de volley ball, Lionel dans le rôle du smasher et Claude dans celui du ballon. Malgré les débuts de Lionel comme taupe trotskiste, leur amitié devait survivre.

Claude Allègre obtint plein de vrais diplômes et s'engagea dans une brillante carrière universitaire. Considérant les disciplines scientifiques trop étroites pour lui, il fonda son propre domaine de spécialité, qu'on pourrait nommer géophysique ou géochimie (mais je pense qu'il trouverait cela trop restrictif). Il y obtint des résultats incontestables et se vit, en 1986, couronné par le prix Crafoord, conjointement avec l'américain G. J. Wasserburg.

Ce prix, prestigieux, confortablement doté mais un peu méconnu, est un couronnement, certes, mais aussi source de frustration. Claude Allègre aimera souligner qu'il en fut le lauréat et que, dans sa spécialité, c'est l'équivalent d'un prix Nobel.

Entre parenthèses, il n'y a pas non plus de prix Nobel en mathématiques (la petite histoire raconte que Nobel, dont l'épouse avait trébuché pour les beaux yeux d'un mathématicien, n'avait pas voulu en créer). Il y a des récompenses prestigieuses en mathématiques, médailles Fields ou prix Abel, mais je n'ai jamais entendu leurs lauréats en faire étalage.

De 1988 à 1992, Claude Allègre conseille spécialement son ami Lionel Jospin au ministère de l'Education Nationale et deviendra ministre lui-même de 1997 à 2000. C'est à ce poste qu'il obtiendra ses plus beaux lauriers en réussissant à regrouper la grande majorité du corps enseignant contre lui. Bravo l'artiste! J'ai encore une pensée émue pour mes collègues "oui, mais quand même j'ai jamais fait grève contre un ministre de gauche, oui mais quand même il ne dit pas que des conneries, oui mais quand même je sais pas si…, oui mais quand même faudrait pas que…"

Démissionné, Claude Allègre put poursuivre son abondante œuvre littéraire, essentiellement consacrée à l'amour de la Science, et peaufiner son image de scientifique universel au franc et clair langage.

La carrière de Claude Allègre fut largement agrémentée de polémiques, de coups de gueule et de bourdes.

Parmi les bourdes, celle-ci (rappelée par Françoise et citée d'après Agoravox), commise en 1999, par un ministre de l'Education Nationale voulant prouver le triste niveau de culture scientifique des petits français, gavés de mathématiques:


"Allègre : «vous prenez un élève, vous lui demandez une chose simple en physique : vous prenez une boule de pétanque et une balle de tennis, vous les lâchez, laquelle arrive la première ?

L’élève va vous dire : la boule de pétanque ?

Eh bien non (continue Allègre, allègrement) elles arrivent ensemble et c’est un problème fondamental, on a mis 2000 ans pour le comprendre. Ça ce sont des bases, tout le monde doit savoir ça.»

Mais le ministre de l’Education nationale qu’il était à l’époque devait aussi savoir que ce principe n’est valable que dans le vide total.

Dans l’air, environnement plus fréquent sur notre Terre, c’est évidemment la boule de pétanque qui touche le sol la première.

Eh bien non, Claude Allègre n’en a pas démordu, et pendant plusieurs semaines, dans les colonnes du Canard, il a défendu mordicus sa thèse.

Il a fallu que Georges Charpak, prix Nobel s’il vous plaît, prenne sa plus belle plume pour pourfendre l’ignorant dans les colonnes dudit Canard (déchaîné pour le coup)."



Cette bourde, assez étrange de la part d'un auteur d'une biographie de Galilée, est très intéressante par ce qu'elle révèle de l'idée que Claude Allègre se fait de la science. Idée qui lui permet de distribuer des certificats de scientificité (ou de non-scientificité) de façon péremptoire. Reçu par Alain Finkielkraut à l'occasion de la sortie son maître ouvrage philosophique La Défaite de Platon, il explique:

"Une science naturelle, son test c'est le réel; les mathématiques, leur test, c'est la cohérence. Les mathématiques, c'est une autre activité, tout à fait noble, mais qui n'est pas substituable aux sciences de la Nature." France-Culture, le 17/02/1996

Cette invocation au réel, confondu avec la réalité, que l'on retrouve dans un certain discours politique, est souvent bien reçue par le gros bon sens du gros de la troupe. Mais on oublie (volontairement ?) que le réel, pour un scientifique, c'est le résultat d'une élaboration intellectuelle. On pourrait demander à Claude Allègre ce qu'a de réel un électron. Lui,
 il doit savoir.

Mais revenons à sa merveilleuse bourde. Quel est le réel dans l'énoncé de Galilée sur la chute des corps ? Sûrement pas la réalité courante, puisque que cet énoncé concerne la chute des corps dans le vide et a été avancé en un temps où la Nature avait plutôt horreur du vide, si je me souviens bien. On peut toujours imaginer Galilée montant au sommet de la tour de Pise pour faire son expérience (il n'a sans doute pas fait ce coup médiatique). Mais il est plus sérieux de penser que c'est un besoin de cohérence qui a conduit les scientifiques à concevoir un réel (le vide) peu réaliste pour rendre compte de la chute des corps.

Le test du réel, en cette circonstance, aurait du être fatal à Claude Allègre. Il ne l'a pas été.  Nous en déduirons, tristement, que la chute dans le ridicule n'affecte pas les ministres de l'Education Nationale.

Nous en verrons quelque jour de nouveaux exemples.

PS1: Je n'ai pas pu retrouver l'ayant-droit de la belle qualification de C.A. utilisée dans le titre. 

PS2: Reconnaissance pour les liens à mes maîtres Françoise et le Charançon libéré

4 commentaires:

Anonyme a dit…

On en apprend des choses intéressantes. Mr Allègre ayant eu un "presque prix Nobel", mazette !

(Je ne peux plus marcher : Tous ces compliments... font enfler les chevilles. Merci quand même !)

Anonyme a dit…

Republicae, c'est quelque chose ! (là, normalement on doit dire quoi comme chose, je dis une référence)
Sinon, l'expérience de chute des corps a-t-elle été faite avec des objets usuels ? Une montre Rolex tombe-t-elle plus vite qu'une Kelton, ou bien ?
Kiki :-)

Guy M. a dit…

Françoise,
Le "prix Nobel" est signalé avec insistance dans les entretiens accordés par C.A. peu avant et peu après sa "démission". Il se répandait en invectives diverses et voulait marquer l'écart entre lui et ces pauvres profs à peine diplomés qui s'opposaient à sa Suffisance... On trouve peut-être des traces de cela sur le ouaibe, je n'ai pas cherché (crac! faute professionnelle!)

Allons, allons, on peut marcher avec des chevilles enflées, voyez notre homme sur la vidéo.

Guy M. a dit…

Kiki,
De référence, c'est le mot...
C.A. aurait pu choisir l'exemple des montres. Je pense que même dans le monde "réel" elles s'écraseront en même temps. Mais je n'ai ni rolex, ni tour de Pise sous la main...
Y a-t-il au moins un physicien dans la salle ?