vendredi 29 février 2008

"J'écris ton nom"

Je me souviens avoir eu un mal fou à apprendre la "récitation" de Paul Eluard à l'école. Ce nom qu'on écrivait partout me déroutait.

La petite histoire littéraire dit qu'Eluard aurait recyclé un poème amoureux écrit pour une femme. Et pourquoi pas? Cela ne me déplaît pas et cela éclaire assez bien la fin du poème. Mais Eluard a intitulé son poème "Liberté" et le poète a toujours raison. (1)



"Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom"

C'est l'âge de l'école.

Mais je me demande si la première sensation de la liberté ne vient pas au petit humain lorsqu'il expérimente cette nouveauté qu'est pour lui la marche. J'en ai observé souvent tourner le dos aux adultes et partir à l'aventure vers le fond du jardin, vers le bord de la piscine, vers le coin de la rue, jambes un peu écartées pour assurer l'équilibre, avec le pampers qui godaille. Peu se retournent, ou alors ils tombent. La plupart continuent, mal assurés mais déterminés. Si les parents savent contrôler leur anxiété (va pas par là, y a des orties, va pas par là, y a de l'eau, va pas par là, y a des voitures), ils devraient avoir le plaisir de voir revenir leur progéniture (le nombre de fugues à cet âge est, je crois, infime), avec un grand sourire et la main bien serrée sur un truc merveilleusement dégoûtant.

Je n'ai pas de conseils à donner aux jeunes parents, mais ce plaisir vaut bien que l'on angoisse un peu, non ? Et cette première liberté du corps, cette première autonomie dans l'espace, n'est-il pas raisonnable de discrètement l'encourager.

C'est certainement ce grand principe que le juge des libertés et de la détention. de Rennes a voulu appliquer (quoiqu'il ne figure pas, et n'ait d'ailleurs pas à figurer, dans notre Droit) en permettant à Bemenga Bekai de retrouver son compagnon après avoir passé deux semaines en rétention avec son fil Mickaël(2) de 15 mois (18 d'après d'autres sources, mais vous croyez que ça change quelque chose). Mickaël pourra au moins aller plus loin que le fond du couloir du centre de rétention. Va où tu veux, grand, si tu peux encore faire deux pas sans avoir la trouille de tout et de rien après avoir vécu ça!

En réalité, je rigole (ah bon!), cette raison n'a pas du peser bien lourd dans la décision. "Le magistrat, estimant qu'elle [Bemenga Bekai] présente « les conditions de représentation suffisantes », l'a remise en liberté, sous contrôle judiciaire, avec une assignation à résidence. La famille a pu regagner son domicile à Tours. Mais l'arrêté de reconduite est toujours en vigueur et le procès est prévu en avril."

Il semble aussi qu'il y ait eu une forte mobilisation de gens un peu têtus, dont un député socialiste (qui se trouve au milieu sur la photo).




(1) Ce qui me déplaît et me rend presque colère, c'est de voir à quelles utilisations sa célébrité expose ce texte tant récité.

(2) En liaison avec cette affaire, voir le beau coup de gueule de Sébastien Fontenelle.

PS: L'excellente Flo Py communique (en PS de son commentaire au billet sur Foucault):

"PS 2 : peut-être êtes-vous tous déjà au courant ; je viens d'apprendre que le Syndicat de la Magistrature appelle à une Nuit de Défense des Libertés, le 20 mars, place de la Bastille.

http://www.syndicat-magistrature.org/spip.php?article628"

Je trouve que ça tombe bien!


6 commentaires:

Anonyme a dit…

Si vous voulez entendre Paul Éluard réciter lui-même son poème "Liberté". Mais le document est au format RealMedia, donc médiocre, désolé.
 

Guy M. a dit…

Merci pour le lien.
C'est toujours un peu déroutant, mais émouvant d'entendre ces voix de "l'autre rive".

Anonyme a dit…

"Liberté" lu par Gérard Philipe.
 

Guy M. a dit…

Merci.

Anonyme a dit…

N'empêche... Comment peut-on enfermer un petit poulet comme ça ? ça me dépasse. Y'a des coups de pieds au c* qui sont perdus.
Bref, je ne veux pas faire de comparaisons historiques (je ne suis pas assez culturée) ni asséner une quelconque philosophie de rien, mais n'empêche, enfermer un petit bonhomme, si c'est pas un pas vers l'inhumanité alors...
Kiki :-)
(PS, j'aime beaucoup votre blog, et pas seulement parce que vous me "lientisez" dans votre dernier billet -sinon, ce serait du fayottage- mais parce que j'aime beaucoup ce que vous dites et la façon dont vous le dites!)

Guy M. a dit…

Kiki,
Quoi qu'on dise ici ou là, la comparaison se fait toute seule ("ils" ne vont pas nous dire ce qu'il faut penser et ressentir, quand même!)
Merci pour votre blog, c'est du grand art (j'y laisse peu de commentaires, car je reste souvent sans voix (et puis, j'ai l'esprit de l'escalier))