mardi 14 juin 2011

Un fait divers sans commentaires

C'était un fait divers assurément trop banal pour faire l'objet d'une dépêche d'agence...

Aussi n'a-t-il été relaté, à ma connaissance, que dans l'article que Luc Mathieu lui a consacré, le 10 juin, dans Libération, sous le titre La France ou la mort.

Seul le visage n’est pas recouvert par le linceul blanc. Aminullah Mohamadi, un Afghan de 17 ans, avait des traits fins, un nez busqué et d’épais cheveux noirs. Ce vendredi 20 mai, quinze de ses amis se sont réunis autour de sa dépouille à l’institut médico-légal de Paris. Ils fixent en silence le cadavre à la bouche entrouverte. Hadji, vêtu d’un shalwar kamiz beige, la tunique traditionnelle afghane, murmure une prière en passant ses mains au-dessus du corps, comme s’il voulait le laver sans le toucher. Quelques-uns prennent des photos avec leur téléphone portable. Un employé de l’institut s’excuse avant de refermer le cercueil et de poser les scellés. La dépouille d’Aminullah Mohamadi devait arriver le 23 mai à Kaboul, la capitale afghane.

L’adolescent s’est suicidé trois semaines plus tôt. Son corps, pendu à un arbre, a été retrouvé dans l’après-midi par une patrouille de police dans le parc de La Villette, dans le nord-est de Paris. Il était arrivé en novembre 2009 en France après avoir traversé l’Iran, la Turquie, la Grèce et l’Italie. Aminullah avait vécu dans la rue, puis dans des foyers et des hôtels. Il avait appris le français et voulait, selon ses amis, devenir plombier. (...)

Tristesse, colère :

«C’est à cause d’eux qu’il est mort, dit Haroun Walizada, 17 ans, en se tournant vers deux employés de l’Aide sociale à l’enfance venus à l’institut médico-légal. Ils lui ont dit : "Tu as bientôt 18 ans, on va te renvoyer en Afghanistan." Aminullah a paniqué. Il disait que c’est son cercueil qu’ils renverraient.»

Incompréhension :

Devant l’institut médico-légal, Olivier Le Camus, chef du bureau de l’Aide sociale à l’enfance de Paris, réfute une à une les accusations. «Nous n’envisagions absolument pas de mettre fin à sa prise en charge. Nous lui avions même trouvé une nouvelle formation, un CAP de peintre en bâtiment. Il aurait dû commencer le jour où il s’est suicidé.»«Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour ce garçon, ajoute Romain Lévy, adjoint au maire de Paris en charge de la protection de l’enfance. Il a été placé dans une famille d’accueil, scolarisé, envoyé en vacances. Mais rien ne fonctionnait. Il ne s’adaptait pas, il ne s’entendait pas avec les autres jeunes.»

Témoignages contradictoires :

(...) Le 15 février 2010, Aminullah est envoyé dans une famille d’agriculteurs dans la campagne de Marmande (Lot-et-Garonne). «Il était perdu. Il ne parlait pas du tout français et n’avait que trois jours de cours par semaine», explique Jean-Michel Centres. Le jeune Afghan fugue et revient à Paris. Les services sociaux le scolarisent durant six mois dans un collège. «Il avait beaucoup de mal à apprendre. Il n’obéissait pas, il était insolent et agressif avec les adultes», affirme Pascal Moulin*.

Aminullah prend aussi des cours dispensés par France Terre d’Asile à Montreuil. Dans son évaluation rédigée après deux mois de formation, Emilie Pierard, professeure de français, le décrit comme un élève «assidu, curieux, très sociable et ayant fait beaucoup de progrès». Parlant désormais bien le français, Aminullah fait parfois office de traducteur pour les Afghans qui errent sur les berges du canal Saint-Martin ou aux abords de la gare de l’Est. «Il allait bien, il avait repris espoir», dit Jean-Michel Centres**.(...)

* qui gère le dossier d’Aminullah à l’Aide sociale à l’enfance.

** membre du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap).

Et puis ?

Mais à partir de l’automne, l’adolescent déprime. Il s’inquiète de ne pas avoir de formation professionnelle et de ne pas trouver d’emploi. Quand Aminullah a-t-il définitivement sombré ? Jean-Michel Centres, du Mrap, l’a vu une dernière fois début mars à une distribution de nourriture de l’Armée du salut dans le XIXe arrondissement. «Il était au bord des larmes, il allait de toute évidence très mal.»

Aminullah s’isole. Il ne contacte plus son entourage, ne fréquente plus les locaux des associations qui aident les migrants afghans. Il reste dans sa chambre de l’hôtel Seine-et-Rhin (XIXe) où l’ont logé les services sociaux. Le jeune homme vit avec son allocation de 12 euros par jour. A son ami Haroun qu’il finit par accepter de rencontrer, fin avril, Aminullah explique qu’un rendez-vous avec l’Aide sociale à l’enfance a mal tourné. «Ils lui avaient demandé de se faire établir un passeport à l’ambassade d’Afghanistan. Quand il est venu le leur apporter, on lui a dit qu’il serait renvoyé là-bas dès qu’il aurait 18 ans.»«C’est faux, répond Olivier Le Camus. Il n’avait aucune raison d’avoir peur. Il avait simplement besoin de papiers en règle pour obtenir un permis de séjour une fois majeur. Nous avions même décidé de prolonger sa prise en charge jusqu’à ses 21 ans.»

Un rendez-vous est pris à l’hôpital Saint-Anne, spécialisé dans les consultations psychiatriques. Aminullah n’y va pas. «Il répétait que ça ne servait à rien, qu’il serait de toute façon expulsé cet été, raconte son ami Haroun. Il m’a dit : "Si je me tue, n’emmenez pas mon corps en Afghanistan. Même mort, je ne veux pas y retourner."»

(Cette dernière volonté n'a pas même été respectée...)

Et puis ?

Le silence.

A la suite de cet article, qu'il faut lire en son intégralité, et faire connaître, les trolls habituels de Libé se sont tus.

2 commentaires:

Christine a dit…

L'absence de commentaires des abrutis racistes habituels est bien le signe de l'horreur de cette vie.

J'hésite à te remercier de nous raconter ces histoires...

Guy M. a dit…

Je ne suis pas certain qu'ils soient si sensibles que cela - un moment j'ai soupçonné une modération de simple décence de la part de Libé.

(C'est Luc Mathieu qu'il faut remercier d'avoir fait un vrai travail d'enquête qui devient trop rare dans la presse.)