dimanche 24 mai 2009

L'humanisme européen ouvert et indépendant

Comme j'ai rompu assez tôt avec ma correspondante anglaise, mes progrès en la langue parlée en sa contrée ont été très limités, et je ne sais pas trop comment traduire l'expression think tank. J'ai bien essayé d'utiliser "réservoir à pensées", "citernes d'idées", "conteneur de cogitations", je n'ai rien trouvé de bien satisfaisant.

Mes recherches d'un équivalent acceptable ont été, de plus, quelque peu entravées par l'intervention de mon imagination, qui entretient encore d'assez bons rapports avec ma mémoire, et m'a imposé, en fond d'écran, l'image insistante de Coluche arpentant la scène en parlant des "milieux autorisés":

"C'est des endroits où les mecs y viennent pour s'autoriser à penser des trucs" (approximativement).

C'est à peu près l'idée que je me fais d'un think tank.

Une lectrice assidue m'a permis de découvrir un tel endroit où l'on s'autorise à penser. Grave.

A l'entrée, on affiche "l'Europe, notre seule frontière" et on se place sous la protection de Thomas More.

Vous cliquez, et vous entrez dans le vestibule de l'Institut.

Thomas More, né en 1478, mort en 1535, béatifié en 1886 et canonisé en 1935, a été choisi par feu Jean-Paul II, que Dieu se le garde, comme saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques. On reconnaît bien là l'irrésistible humour du regrettable Jean-Paul: en plaçant les chefs d'état sous la protection d'un homme qui fut condamné à être pendu, éviscéré et traîné par les rues (mais, au final, seulement décapité), il leur donnait, sous la forme d'un memento Morus ironique, quelques idées des possibilités d'une fin de carrière honorable.

Avant que son chef décollé ne soit exposé sur le pont de Londres, Thomas More avait été un des esprits les plus brillants de cette époque: juriste, érudit, théologien, philosophe, soit un "humaniste" de cette belle période où les européanistes se trouvent volontiers des prédécesseurs, et où l'on s'étripait consciencieusement d'un bout à l'autre du continent.

Thomas More, vu par Hans Holbein (le jeune).
Tempera sur bois, 1527.

L'Institut Thomas More, fondé en 2003, "a pour but d'influencer et de peser sur les débats culturels, politiques, sociaux et économiques contemporains, en vue de promouvoir le bien commun, par le développement de la responsabilité de la personne au sein d'une société et d'une économie libres." Il se présente comme un "Institut européen de réflexion politique, ouvert et indépendant, (qui) veut faire entendre une voix libre et originale, et constituer une force de proposition novatrice et responsable."

Le projet de l'Institut tient en ces quelques points:

- Garantir les libertés fondamentales de la personne humaine
- Revitaliser la démocratie

- Promouvoir la liberté d'entreprendre, la qualité et la création
- Reconnaître les valeurs universelles et celles de notre culture occidentale

Il repose sur douze principes fondateurs que je vous invite à lire en détail.

Au moins deux fois.

La première, normalement, pour prendre connaissance, en suspendant tout jugement.

Et la seconde en chaussant vos lunettes de second degré, celles qui vous permettent de bien savourer la bouillie idéologique des prétendus humanistes de notre temps.

Si cette seconde lecture ne vous fait ni rire ni pleurer, je pense que vous pouvez devenir membre de l'Institut. Téléchargez le formulaire d'inscription, pour les personnes immorales ou pour les personnes morales, selon votre statut. Et n'oubliez pas de payer votre cotisation.


Cliquez et vous verrez...


A partir de la page d'accueil, ou en cliquant ci-dessus, vous pourrez avoir un copieux échantillon des très sérieux travaux de l'Institut. Il s'agit du baromètre des réformes de Nicolas Sarkozy, qui répond, avec toute la scientificité qui s'impose, à cette taraudante et térébrante question: Fait-il ce qu'il dit ?

Le programme du candidat a été découpé en vingt-deux sections, et la progression des réformes promises est évaluée dans chacune des sections par une note sur 20, et agrémentée d'une appréciation. On voit que l'Institut a un peu de mal à s'affranchir d'un modèle scolaire assez infantile.

Vous trouverez la mise à jour du 5 mai 2009.

La note globale obtenue est de 10,5.

La plus mauvaise note (7,5/20) est attribuée à la section Culture et communication, avec ce commentaire: Bonnet d'âne pour la culture.

La meilleure (14,5/20) est celle de la section Immigration et développement solidaire, avec cette appréciation: Une politique migratoire sur les rails.

Mon assidue lectrice, abusée par une notule dans la presse, croyait que cette bonne note était attribuée à un ministre dont, je ne sais pourquoi, elle ne soutient pas l'action.

C'est plus vicelard que cela: la note ne prétend que mesurer, en toute objectivité, l'état d'avancement d'une politique, mais est effectivement lue comme une sanction ou une récompense... Le modèle infantilisant des bulletins scolaires est toujours opérant.

Mes recherches d'une analyse un peu plus pensée, sous un angle humaniste, de la politique des réformes de Nicolas Sarkozy, et notamment de son inhumaine "politique migratoire", ont été parfaitement vaines.

Je n'ai pas dû bien chercher.

Car j'ai du mal à croire qu'un tel constat ne provoque pas, chez les humanistes de l'Institut, de terribles démangeaisons du côté de leurs principes fondateurs.

11 commentaires:

JR a dit…

J'avions reçu ce bulletin de notes, sans avoir (je l'avoue) la coriosité d'aller chercher la bio du Thomas More en question, qui doit chauffer sous tant de fourrure.
Merci.

peterpane a dit…

Merci de ta définition de think tank, car de mon côté, je n'avais pas réussi cette traduction - malgré mon niveau avancé en Anglais - quand je me suis retrouvée sur le site du très honorable ITM.
Et vive Nicolas Sarkozy : apparemment, il respecte ses promesses électorales. Ce sont ceux qui ont voté pour lui - et qui se fichent bien plus de la culture que de la sécurité - qui doivent être contents !

Guy M. a dit…

@ JR,

De rien...

(Il faisait très froid à Londres en ce temps-là.)

@ Peterpane,

Tu te moques, je le sens, de mes compétences linguistiques. Le meilleur équivalent est dû à Coluche.

JBB a dit…

"Il repose sur douze principes fondateurs que je vous invite à lire en détail."

J'ai décroché au 6e, ça compte quand même ? (En tout cas, rien à dire : ils affirment un max…)

Sinon, je les trouve un peu léger, les joyeux humanistes de ce think-tank : seulement 14,5 ? Au point où ils en sont, ils devraient carrément faire grimper le score…

Guy M. a dit…

Tu es membre de l'Institut maintenant ?

La classe !

myriam a dit…

Thomas More, saint patron des ...?
C'est amusant en effet. Il avait aussi une statue bien placée dans la Russie communiste, je crois. Et sur l'île d'Utopie, si j'me souviens, y'a bien des représentants, et un système patriarcal bien discutable, mais pas de chef d'Etat...
C'est pour des raisons de mariage royal pas assez catholique à son goût qu'il s'est opposé jusqu'à ce que mort (je ne ferai pas de jeu de mots) s'en suive, mais ça ne lui plaisait sans doute pas qu'un roi (le sien) fasse tout ce que bon lui semble sans rien demander à personne... (JP voulait contrôler son ptiit monde?)
Sinon, ça va?
Pas trop caniculaire à Trifouillis-en-N.?

Guy M. a dit…

Thomas More est le seul saint, je crois, à être inscrit comme ancêtre du communisme (pour son Utopia, justement).

La canicule en Normandie, tu veux rire !

Anonyme a dit…

"citerne d'idées" ne convient pas, ça laisse entendre "idées toutes faites". La traduction parfaite est : "citerne à idées".

Guy M. a dit…

Je trouve qu'il y a pas d'idées en prêt à porter chez eux, ne serait-ce que dans les principes fondateurs.

olive a dit…

Dans Le Monde Diplomatique, chez ses fournisseurs et chez ses clients, think tank est traduit — quand il l'est — par «cercle, ou groupe, de réflexion», ou quelque chose d'approchant. Ceci dit, j'aime beaucoup «citerne à idées», même si, comme presque toutes les traductions littérales, celle-ci ne reflète pas du tout le sens de l'expression.

Vite, de la lumière :

«Les analystes des think tanks dans le monde anglo-saxon font habituellement une distinction entre les centres de recherche indépendants, dont certains datent du début du [XXe] siècle, dans lesquels le travail n'est pas orienté politiquement et qui méritent le nom de think tank puisque leur objectif est avant tout de poursuivre la réflexion sur tel ou tel aspect de la vie politique publique, et les centres de recherche de plus en plus nombreux qui se consacrent à la défense et l'illustration d'une doctrine, tentant non pas de faire avancer la pensée mais plutôt de répandre leur pensée ; pour ce dernier les chercheurs préfèrent le terme advocacy tanks [littéralement : "citernes à plaidoyers"].» — Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Éd. Raisons d'agir, 1998, p.6.

Pour la traduction de think tank pris en ce sens, on peut donc suggérer quelque chose comme «forum de propagande idéologique». En effet, continue K. Dixon, «l'objectif premier des think tanks néo-libéraux [...] est surtout le prosélytisme politique.»

Guy M. a dit…

Les traductions au mot-à-mot m'amusent souvent par les effets de sens parasites produits.

Ceci dit, tu as raison de replacer les think tanks dans la nébuleuse de la propagande (néo)libérale.