mardi 12 mai 2009

Les marronniers de Tarnac

On dirait bien qu'une nouvelle espèce de marronnier est en pleine croissance dans le parc journalistique hexagonal: le marronnier de Tarnac, dont la périodicité est encore incertaine, mais que je vous promets d'étudier de près en avalant un de ces jours l'imposant dossier de presse concernant l'affaire dite des "9 de Tarnac".

Fleur de marronnier d'Inde.

Les fleurs éclosent parfois sur les claviers des portables des spécialistes de la spécialité, parfois autoproclamés et en quête de reconnaissance, parfois déjà reconnus et en quête de confirmation. Ces derniers sont particulièrement redoutables, car il semble difficile de se spécialiser dans les questions d'ordre sécuritaire sans adopter un certain point de vue, assez proche finalement de celui des gens "de la maison". Je vous laisse trouver des noms...

(Comme un rappel n'est jamais inutile, ô lecteur/trice à l'attention volatile et volage, je note que Mathieu Rigouste, dans son Ennemi intérieur, a su résister à cette fascination pour la flicaille, et s'il parle couramment le langage-maison, sait conserver une admirable distance, bien marquée par l'usage de guillemets. C'est un des agréments et une des forces de son livre.)

Rue89 a publié hier un articulet signé d'Antonin Grégoire, universitaire, intitulé Coupat, l'ultra-gauche et la politisation du renseignement. Je n'ai pas trouvé de traces des publications d'Antonin Grégoire, et puisque je ne suis pas inscrit sur Rue89, je n'ai pu consulter sa notice. (Pourquoi réserver ces renseignements aux seuls inscrits ? ... comprends pas...)

Antonin Grégoire commence en nous expliquant ce qu'il faut entendre par "politisation du renseignement":

Le but d'un service de renseignement est de détecter et d'avertir des menaces que le politique n'a ni le temps ni l'expertise de percevoir. Problème : si le politique est en pleine parano sur l'ultragauche et qu'on lui vend de l'islamiste, il n'en tient pas compte, réduit les budgets, et, le jour où se produit l'attentat qu'on lui avait prédit et qu'il n'a pas voulu entendre, il vire tout le monde pour donner un exemple en pâture à l'opinion publique. Ce phénomène s'appelle la politisation du renseignement.

Il complète en nous présentant les deux écoles qui, selon lui existent face à ce phénomène, l'école Kennan et l'école Gates (que suivrait madame Alliot-Marie).

Il nous explique de manière plausible comment madame Alliot-Marie s'est embarquée dans cette affaire d'ultra-gauche terroriste, et pourquoi elle ne peut s'en dépêtrer... Si vous aimez les histoires de RG, vous irez voir cela. Ou pas.

Je dois dire que cela ne m'a guère passionné, et après avoir lu que "la ministre n'a aucune notion d'antiterrorisme", j'ai pensé qu'il faudrait sans doute lui conseiller, à notre madame Michèle, de prendre des cours du soir avec Antonin Grégoire.

En arrivant à la conclusion:

Non contente d'augmenter le risque terroriste en détournant les services, la ministre en crée un autre qui n'existait pas à l'origine. C'est la sécurité à la Sarkozy dirons-nous. Le conseil du jour : faites attention à vous. Pas parce que Sarkozy le dit mais précisément parce qu'il ne le fait pas.

... j'ai été pris d'une trouille verte.

La Trouille, affluent de la Haine, dans la traversée de Petit Spiennes.

Si cet article m'a mis mal à l'aise, que dire des exclusivités à l'estomac que l'on nous sert sur cette même affaire ?

Mediapart, où il ne faut pas seulement s'inscrire, mais encore payer, revient sur l'arrestation et la garde à vue de Tessa Polak, membre d'un comité de soutien aux inculpés du 11 novembre. Cela donne un article assez développé, signé de David Dufresne, que l'on peut lire sur le site du Jura libertaire, à la suite de l'article qu'Isabelle Mandraud a publié dans le Monde.fr.

Ces deux articles apportent des précisions sur les circonstances de l'interpellation, le 28 avril, de Tessa Polak, à cet endroit où la rue des Pyrénées, refusant de se jeter dans la rue de Belleville en effaçant la rue de Jourdain, infléchit sa course, et où du confluent de plusieurs rues s'est formé une petite place sans grand caractère mais agréablement animée.

Ils reviennent aussi sur les conditions de la garde à vue, et la présentation au juge Fragnoli.

Tout cela est à dire, et répond, je le suppose, au besoin de témoignage de Tessa Polak.

Mais pourquoi, sinon pour battre le rappel des lecteurs, David Dufresne a-t-il posté cette vidéo pour accompagner son article ?

Ce que nous ressentons du désarroi de cette jeune femme, encore sous le coup de la violence inadmissible qui lui a été infligée, ne pouvait-il l'écrire simplement, au lieu de nous livrer ces images mal montées, accompagnées de transitions musicales incongrues (la musique est de Bertrand Toty, autant vous prévenir) ?

Je n'ai pu regarder ces images qu'en pensant à ces quelques photographies, prises par Tess Polak en Palestine, en 2000 ou 2001, que j'ai pu trouver sur le ouaibe, et en souhaitant que les mains de Tessa s'emparent très vite d'un appareil photographique.


Ces trois dernières photos sont de Tessa Polak.


PS1: Je n'ai pas oublié l'article de Karl Laske, dans Libération, mais ce sera peut-être pour plus tard.

PS2: Désolé de ne pas avoir parlé de monsieur Besson, mais rassurez-vous, aux dernières nouvelles, il va bien: il a réussi à trouver une filière...

PS3: Quant à Julien Coupat, il reste en prison.

5 commentaires:

JBB a dit…

Je n'ai pas vu la vidéo. Mais je trouve que le papier de David Dufresne sur l'arrestation de Tessa est très bien. C'est quand même l'un des seuls à fournir des papiers aussi complets sur l'affaire de Tarnac. En ces temps de n'importe quoi, c'est plutôt à souligner, je trouve.

Guy M. a dit…

Les articles de D. Dufresne sont des éléments indispensables de l'information sur l'affaire (je pense, par exemple, à cet article sur les réponses de J. Coupat que tu reprends dans ton billet d'hier).

Il faut témoigner, c'est nécessaire.

Ce qui me gêne, c'est le "comment" de cette vidéo: images peu soignées, cadrage à mi-corps, pas de visage, gros plans sur les mains, montage bout à bout, questions (s'il y en a) effacées, semblants de ponctuations musicales avec intertitres... Pour le spectateur, un sentiment de malaise appuyé à se retrouver en position d'observateur impuissant d'une personne encore en état de choc et en plein désarroi. L'écriture aurait pu traduire tout cela, de manière plus forte, je pense.

Cette manière de faire passer le témoignage ne me semble pas nécessaire.

(Mais je peux me tromper en la jugeant un peu putassière...)

JBB a dit…

"Mais je peux me tromper en la jugeant un peu putassière..."

Non, tu as raison. C'est moi qui faisais fausse route en ne me basant que sur l'article. Je viens de mater la vidéo, et elle correspond à ce que tu décris : montage stressant, effet de style malvenus et grossiers, musique horripilante et pas adaptée… Je vais décidément me contenter de ses articles à l'avenir, ils sont bien meilleurs que ce que donne à voir la vidéo.

Guy M. a dit…

Faut le répéter, l'écrit a une force!

Anonyme a dit…

Notice biographique sur Antonin Grégoire, lue le 9 avril 2010 sur rue89 :

"L'auteur
Antonin Grégoire

Après un master d'histoire à la Sorbonne consacré aux services secrets francais dans les année 20, j'ai poursuivi avec un Master of Arts au King's College London : Intelligence and International Security.

Je travaille actuellement à un projet de thèse sur le terrorisme religieux et en consultant freelance pour des journalistes ou des think tanks."