mercredi 3 décembre 2008

Le courage de monsieur Laurent Joffrin



Aujourd'hui, bravant la pluie et la froidure, je suis allé rendre une petite visite matinale à mon banquier. Il s'est établi devant le soupirail de la boulangerie qui se trouve "au feu", si vous voyez, et semble en bonne forme. Il est assis en position du lotus sur un carton, et l'on voit bien que la semelle de ses souliers autrefois vernis est bien fatiguée. Avec un gobelet en plastique devant lui, il sollicite des passants quelque dépôt de confiance: avec la tête qu'il a, ce n'est pas si facile.

Comme je me relevai après un échange verbal très cordial, mon œil erratique (l'autre n'erre pas) tomba sur la Une de Libération qu'exhibait le marchand de journaux en sa vitrine bien fournie en poitrines généreuses.

Je tétanisai littéralement sur le trottoir, à un point tel que plusieurs passants sortirent leur portable pour appeler le Samu et que je dus entendre toutes sortes de conseils sur le danger qu'il y a, à mon âge, à se pencher ainsi sans précautions dans le froid glacial.

La Une qui me médusa,
obtenue par copie d'écran
après ma libération par le Samu.


Je ne puis qu'admirer le grand courage de monsieur Laurent Joffrin et de son équipe de collaborateurs/trices.

Ce dernier mot possède assez de riches connotations, y compris historiques, pour leur convenir.

Après avoir vu, depuis le 11 novembre, toute la rédaction de Libé courir, la langue pendante comme des chienchiens soumis, après les sussucres que leur lançaient les "milieux proches de l'enquête", il faut bien admettre que trouver, en première page, l'ombre d'un doute sur cette enquête avait de quoi clouer sur place mes lamentables vertèbres.

Malgré la commotion dont je venais d'être victime, je ne perdis pas la tête et m'empressai, de retour devant mon écran, de cerner les contours de cette ombre.

Sous le titre Qualification, l'éditorial de monsieur Laurent Joffrin confirma mes doutes sur ce doute.

Robe à faux cul,
dans un cadre d'époque.

L'éditorial de monsieur Joffrin, penseur courageux, est inspiré par la nouvelle de la libération de trois des cinq personnes incarcérées dans l'affaire des présumés sabotages de lignes Sncf.

Perturber la marche d’un TGV en sabotant une caténaire, est-ce du terrorisme ? Depuis le début de l’affaire de Tarnac, la justice se débat avec cette question gênante. La déprédation de matériel ferroviaire est condamnable et l’interruption du trafic une gêne évidente pour des milliers de passagers. Aussi bien, si elle a un but politique, cette action dénote une intelligence tactique très limitée tant le TGV est une institution populaire et utile.

Vous et moi (enfin, surtout vous), qui savons lire, comprenons que monsieur Joffrin admet, sans la moindre précaution que les personnes arrêtées le 11 novembre sont bien responsables des problèmes de caténaires sur les voies ferrées.

Devait-on pour autant taper sur la grosse caisse de l’antiterrorisme dans une affaire d’une dimension somme toute limitée, où la culpabilité des prévenus, de surcroît, n’est pas établie ?

C'est moi qui grasseye, car ce léger "de surcroît" est charmant. On dirait que l'on aborde un "détail".

Manifestement, Michèle Alliot-Marie a agrippé cette caténaire à des fins essentiellement propagandistes. Le bourrichon quelque peu monté par les fumeuses théories d’un de ses conseillers, un dénommé Bauer (non pas Jack mais Alain), selon lequel certaines formes d’altermondialisme plus activistes que d’autres sont une antichambre d’Al-Qaeda, elle a affublé du mot «terrorisme» ces actions dont il faut bien reconnaître qu’elles ne terrorisent personne, même si elles sont inexcusables.

On ne peut que se réjouir sincèrement de voir l'éditorialiste le plus perspicace de France, donc du monde, prendre conscience de ce qui, pour beaucoup, est évident depuis si longtemps...

Ce délicieux "bourrichon monté" ne peut que me rappeler les expressions de mon enfance, et en particulier celle-ci: "Heureusement qu'il ne pousse pas tout ce qu'il traîne... il irait à reculons !"

Je ne sais pourquoi ça me revient...

Le terrorisme suppose violence et atteinte aux personnes. Rien de cela ne s’est produit dans le cas qui occupe tant la martiale Michèle. L’incrimination voulue par le gouvernement - les juges commencent à s’en rendre compte, qui ont déjà libéré trois prévenus sur cinq - est manifestement disproportionnée. Il est temps de revenir dans cette procédure à une vitesse normale et à une qualification adéquate, conforme au droit et au bon sens.

Merci pour le conseil, monsieur Joffrin, vous êtes décidément irremplaçable.

Terroristes pâtissiers de tous pays,
cette (sur)face ne vous fait-elle pas rêver ?


PS: Pour faire contraste avec la prose de monsieur Joffrin, voici ce que l'on peut lire à la fin d'un article de la Tribune de Genève, signé par Jean-Noël Cuénod, qui décrit la sortie d'audience d'hier:

Autre cause de malaise, la tactique choisie par la gendarmerie à l’issue de l’audience d’hier soir au Palais de justice de Paris. Alors qu’une petite trentaine de proches des accusés quittait le Palais en scandant le traditionnel «Libérez nos camarades», les gendarmes en tenue d’assaut style Robocop ont organisé une nasse sur le trottoir, de l’autre côté des grilles, coinçant toutes les personnes qui se trouvaient là, y compris le signataire de ces lignes. On aurait voulu provoquer des affrontements qu’on n’aurait pu mieux s’y prendre. Cela n’a pas manqué. Au cours d'un de ces heurts inévitables, nous avons vu une personne être embarquée. Décidément, dans cette affaire, rien ne tourne rond!

Voilà un journaliste qui ne se contente pas de toiletter les dépêches d'agence...

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah les esprits, encore !
Ce matin, mon marchand de journaux a eu le tympan percé par mon cri de rage devant l'abjecte couverture qui m'a fait aussitôt penser à celle du 12 sur l'ultragauche qui déraille.
Tu parles de faux cul, en bon franc-comtois, j'évoquerais la girouette chère à Edgar.
C'est juste à cause de l'impossibilité d'obtenir une image correcte à partir de leur scorgneugneu de reader, que j'ai renoncé à faire un billet de deux lignes sur la comparaison de l'info entre mi novembre et début décembre.
On devrait faire une conférence de rédaction le matin !
Sourire

Guy M. a dit…

Si tu n'as pas pu apprivoiser leur reader, ça me décomplexe un peu... (Ah! ils sont forts à Libé).

Il va falloir songer sérieusement à cette idée de conférence de rédaction, quoique le matin pour moi soit une notion encore un peu floue.

Bonne fin de soirée.

Anonyme a dit…

Le matin, cela commence à midi, c'est pourtant simple de ne pas se tromper.

Un peu comme le sieur Joffrin : il pourrait sembler se contredire, mais non, pas du tout, quelle idée, il est juste dans la droite ligne de la médiocrité qu'il ne cesse de manifester de longue date.

"Terroristes pâtissiers de tous pays, cette (sur)face ne vous fait-elle pas rêver ?"

Je sens comme une invite, là… :-)

Guy M. a dit…

Je dois dire que la (sur)face en question est une invite à elle toute seule!

Anonyme a dit…

"Le matin, cela commence à midi, c'est pourtant simple de ne pas se tromper."

Rhaaaa ! Enfin une parole sensée !

Bon, à part ça... Plus en rapport avec le billet : tu parles d'expressions qui te reviennent. J'ai pu constater avec dépit, voire avec une certaine tristesse, que si "les gens" trouvaient bien toute cette histoire un peu louche (disons qu'on sent comme une vague conscience que tout ça pourrait bien être monté de toutes pièces), il y a une expression qui est pas mal revenue dans leur bouche : "Y a pas de fumée sans feu".
Si je dis que j'ai l'impression que "les gens" votent comme ils pensent (ou l'inverse), j'ai l'air d'une sale élitiste misanthrope ?...

Bises !

Guy M. a dit…

Pas de fumée sans feu allumé par un pompier pyromane, peut-être...

Marianne a dit…

Un appel à Noël Godin ? pauvre Joffrin , n'est pas Zola qui veut .

Guy M. a dit…

Eh non, Zola n'avait pas cette superbe tête à tarte.

(Je ne sais pas si Noël Godin a encore des disponibilités, il y a tant à faire!)

Anonyme a dit…

Je serais moins sévère avec Laurent Joffrin...

Cette lamentable affaire paraissait louche dès le début, étant en vacances, je n'avais accès qu'ua Monde (papier) et aux infos de la radio (j'eus pu regarder les J.T. mais comme je ne les regarde jamais ici...).
De tout ce que je lisais et entendais, malgré les prétendues "preuves", etc... j'avais la curieuse impression que l'on avait arrêté des personnes pour la simple raison qu'elles avaient un mode de vie plutôt libertaire (au sens large) et non consummériste.
D'ailleurs, il est significatif que la population de leur village, d'abord éffondrés et incrédules, aient réagi en créant un comité de soutien.
Il n'y a rien d'autre dans toute cette affaire que l'assimilation des altermondialistes et de tous les contestataires en général à des terroristes en puissance. Cela, je le préssentais dès la petite victoire des altermondialistes à Seattle : fermer la gueule des contestataires...
Pour en revenir aux journalistes, ce n'est qu'un épisode de plus qui met en relief la précipitation (ne pas rater un scoop) et le manque d'esprit critique sur la "communication gouvernementale" ou de Sarkozy qui utilise médias et journalistes avec un art consommé !
J'utilise beaucoup "de surcroît", précisément quand je veux renforcer un fait ou une idée...
Par ailleurs, Jofrin est peut-être encore plus remonté à cause de "l'affaire Fillipis".

Guy M. a dit…

J'ai du mal à pardonner à Libé l'article sur le "bréviaire anarchiste", qui ressemblait décidément trop à une fiche de police...