mardi 8 juillet 2008

Fœtus mort-né, avais-tu donc une âme ?





Déposant hier aux pieds de la délicate Flo Py un hommage en forme de commentaire à l'un de ses billets, je m'étais promis d'utiliser mes compétences théologiques pour examiner les difficultés qui se posent aux chrétiens, malgré les décrets qui promettent aux parents d'un mort-né de pouvoir l'inscrire sans conditions à l'Etat-Civil. (Voir les infos ici ou ).

Il faut vous dire que je suis le troisième fils d'une famille de hobereaux normands, où, par tradition, l'aîné reprend la gestion du domaine, le second entre en la carrière des armes et les suivants entrent dans les ordres plus ou moins mineurs, selon leur rang. Virtuellement je suis donc au moins archevêque, même si je suis tout juste capable de commencer une homélie avec une voix assez ecclésiastique sous les voûtes de Saint Sulpice, pour amuser les touristes étrangers, pendant que les dévots français appellent le bedeau musclé.

Mes bien chers frères et bien chères sœurs, sachez que ce qui distingue un chrétien de vous et moi (enfin surtout de vous), c'est qu'il possède une âme immortelle. Et cette âme immortelle est faite pour être sauvée (et ceci mis à part, elle n'a pas grande utilité)… Et elle ne peut être sauvée, cette âme immortelle, qu'en entrant dans le sein de la sainte Eglise par le sacrement du baptême.

Chez les Pères et Docteurs de l'Eglise, on n'est pas d'accord sur la date et l'heure d'arrivée de l'âme dans l'embryon… Le grand saint Basile (329-379) enseignait que l'âme étaient unie au corps dès la conception, Saint Augustin (354-430) pensait plutôt que la première respiration faisait entrer l'âme dans le corps, et Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) soutenait que cela se faisait pendant la grossesse, au bout de soixante jours pour les garçons et quatre-vingts pour les filles. C'est ce que l'on appelle la théorie de l'animation médiate. Notons que le concile de Trente (auquel se réfèrent les traditionalistes) a opté pour la thèse de Thomas d'Acquin.

De 1591 à 1869 l'Eglise Romaine enseigna comme article de Foi que la théorie de l'animation médiate était la seule valable. Le Pape Pie IX, le premier infaillible, je crois, est revenu aux conceptions de Basile, et on en tira les conséquences: excommunication de tout avortement et baptême du fœtus dès que possible en cas de danger (code de droit canonique - canon 747).

Tout enfant mort-né, sans baptême, voyait autrefois son âme rejoindre les limbes, dont l'Eglise, paraît-il ne fait plus grand cas, et surtout plus article de foi.

Alors la solution c'est de baptiser… Mais on ne peut baptiser qu'un vivant… Alors faut-il baptiser in utero ? Il parait que l'Eglise n'est pas pour…

Si vous voulez mon avis, il vaut mieux être comme vous et moi, plutôt que d'être chrétien…


Par pure charité, je suggère à mes amis très pratiquants de soumettre à Sa Sainteté cette réponse (authentique) reproduite par Laurence Sterne dans son immortel La vie et les opinions de Tristram Shandy.


MEMOIRE
presenté à Messieurs les Docteurs de SORBONNE.

UN Chirurgien Accoucheur, represente à Messieurs les Docteurs de SORBONNE, qu'il y a des cas, quoique très-rares, où une mere ne sçauroit accoucher, & même où l'enfant est tellement renfermé dans le sein de sa mere, qu'il ne fait paroître aucune partie de son corps, ce qui seroit un cas, suivant les Rituels, de lui conférer, du moins sous condition, le baptême. Le Chirurgien, qui consulte, prétend, par le moyen d'une petite canulle, de pouvoir baptiser immediatement l'enfant, sans faire aucun tort à la mere.--- Il demande si ce moyen, qu'il vient de proposer, est permis & légitime, & s'il peut s'en servir dans les cas qu'il vient d'exposer.

REPONSE.

LE Conseil estime, que la question proposée souffre de grandes difficultés. Les Théologiens posent d'un côté pour principe, que le baptême, qui est une naissance spirituelle, suppose une premiere naissance; il faut être né dans le monde, pour renaître en Jesus Christ, comme ils l'enseignent. S. Thomas, 3 part. quæst. 88, artic. 11, suit cette doctrine comme une verité constante; l'on ne peut, dit ce S. Docteur, baptiser les enfans qui sont renfermés dans le sein de leurs meres. & S. Thomas est fondé sur ce, que les enfans ne sont point nés, & ne peuvent être comptés parmi les autres hommes; d'où il conclud, qu'ils ne peuvent être l'objet d'une action extérieure, pour reçevoir par leur ministére, les sacremens nécessaires au salut: Pueri in maternis uteris existentes nondum prodierunt in lucem ut cum aliis hominibus vitam ducant; unde non possunt subjici actioni humanœ, ut per eorum ministerium sacramenta recipiant ad salutem. Les rituels ordonnent dans la pratique ce que les théologiens ont établi sur les mêmes matiéres, & ils deffendent tous d'une maniére uniforme, de baptiser les enfans qui sont renfermés dans le sein de leurs meres, s'ils ne font paroitre quelque partie de leurs corps. Le concours des théologiens, & des rituels, qui sont les régles des diocéses, paroit former une autorité qui termine la question presente; cependant le conseil de conscience considerant d'un côté, que le raisonnement des théologiens est uniquement fondé sur une raison de convenance, & que la deffense des rituels suppose que l'on ne peut baptiser immediatement les enfans ainsi renfermés dans le sein de leurs meres, ce qui est contre la supposition presente; & d'un autre côté, considerant que les mêmes théologiens enseignent, que l'on peut risquer les sacremens que Jesus Christ a établis comme des moyens faciles, mais nécessaires pour sanctifier les hommes; & d'ailleurs estimant, que les enfans renfermés dans le sein de leurs meres, pourroient être capables de salut, parcequ'ils sont capables de damnation; --pour ces considerations, & en égard à l'exposé, suivant lequel on assure avoir trouvé un moyen certain de baptiser ces enfans ainsi renfermés, sans faire aucun tort à la mere, le Conseil estime que l'on pourrait se servir du moyen proposé, dans la confiance qu'il a, que Dieu n'a point laissé ces sortes d'enfans sans aucuns secours, & supposant, comme il est exposé) que le moyen dont il s'agit est propre à leur procurer le baptême; cependant comme il s'agiroit, en autorisant la pratique proposée, de changer une regle universellement établie, le Conseil croit que celui qui consulte doit s'addresser à son evêque, & à qui il appartient de juger de l'utilité, & du danger du moyen proposé, & comme, sous le bon plaisir de l'evêque, le Conseil estime qu'il faudroit recourir au Pape, qui a le droit d'expliquer les régles de l'eglise, & d'y déroger dans le cas, ou la loi ne sçauroit obliger, quelque sage & quelque utile que paroisse la maniére de baptiser dont il s'agit, le Conseil ne pourroit l'approuver sans le concours de ces deux autorités. On conseile au moins à celui qui consulte, de s'addresser à son evêque, & de lui faire part de la presente décision, afin que, si le prelat entre dans les raisons sur lesquelles les docteurs sous-signés s'appuyent, il puisse être autorisé dans le cas de nécessité, ou il risqueroit trop d'attendre que la permission fût demandée, & accordée d'employer le moyen qu'il propose si avantageux au salut de l'enfant. Au reste, le Conseil, en estimant que l'on pourroit s'en servir, croit cependant, que si les enfans dont il s'agit, venoient au monde, contre l'esperance de ceux qui se seroient servis du même moyen, il seroit nécessaire de les baptiser sous condition; & en cela le Conseil se conforme à tous les rituels, qui en autorisant le baptême d'un enfant qui fait paroître quelque partie de son corps, enjoignent néantmoins, & ordonnent de le baptiser sous condition, s'il vient heureusement au monde.
Déliberé en Sorbonne, le 10 Avril, 1733.

A.LE MOYNE.
L. DE ROMIGNY.
DE MARCILLY.


Et Laurence Sterne conclut:


Les compliments de Monsieur Tristram Shandy à Messieurs Le Moyne, de Romigny et de Marcilly; il espère qu'ils .ont tous passé une excellente nuit qui les aura remis de leurs fatigues après une journée de délibération aussi harassante. --- .

Il se permet de leur demander si, après la cérémonie du mariage, et avant celle de la consommation, un baptême collectif par injection, plaouf ! au petit bonheur, .où tous les HOMUNCULI seraient aspergés d'un seul coup, n'offrirait pas un raccourci plus rapide et plus sûr encore; étant naturellement admis, comme il a été dûment prescrit ci-dessus, que si, après cet arrosage, nos HOMUNCULI font aussi bien leur chemin qu'on espérait et viennent au monde sains et saufs, il les faudra nécessairement rebaptiser (sous condition), un à un, à la sortie; --- à condition également que l'opération se puisse effectuer, mais M. Shandy a sur ces deux points quelques craintes, par le moyen d'une petite canulle et sans faire aucun tort au pere.


(Le texte sorbonnard est en français, la conclusion est donnée dans la traduction de Guy Jouvet, parue aux éditions Tristram)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La réponse de ces Messieurs les Docteurs de Sorbonne a la clarté de l'eau bénite.

Guy M. a dit…

Très bonne comparaison! c'est tout à fait ça.
:-))

Anonyme a dit…

Cher Monsieur Guy,

Merci pour ces précisions d'ordre théologique. Je suis bien aise d'être athée, et c'est le cœur léger que je m'en vais retrouver ma couette !

Bises et bonne nuit !

PS : "délicate", c'est en rapport avec mes nausées persistantes (qui, selon les spécialistes consultés, devraient encore durer quatre ans, dans le meilleur des cas) ?

Guy M. a dit…

Chère moizelle Flo,

Pas tout à fait quatre ans, soyons résolument optimistes...

Et puis, il faut compter en semaines...

Et puis pourquoi ne pas envisager une Interruption Volontaire de Quinquennat...

Bonne journée.