Ce billet est une pochade fictionnelle rédigée en réponse à Kamizole qui a eu l'étrange et amusante idée de m'inscrire dans une "chaine" bloguistique demandant réponse à cette question: "Où serez-vous le 6 mai 2012 ?"

Dimanche 6 mai 2012.
L'aube est un peu fraîche dans mon pigeonnier de Ménilmontant, mais le ciel là-bas, vers Charonne, est d'un bleu délavé bien printanier.
Comme il y cinq ans, jour pour jour, le petit bal sauvage de la commune libre de Bellevill'montant va déployer ses drapeaux noirs et rouges au pied de l'église de Ménilmontant.

Mais personne aujourd'hui ne tendra l'oreille aux rumeurs de résultats d'une élection présidentielle quelconque, c'est tout juste si quelques ruminants mémoriels dans mon genre vont évoquer entre eux l'ambiance plombée d'alors.
Les prochaines présidentielles auront lieu dans deux ans et demi.
Devant mon café, je remâche quelques souvenirs de la tragique comédie qui aboutit à ces élections de décembre 2009 où le petit Béarnais tenace descendit de son tracteur pour sauver la France du désastre.
La première perte de contrôle dramatique du président eut lieu pour le second anniversaire de son élection, en direct, sous l'œil fuligineux et le sourcil arcbouté d'une Arlette Chabot trop paniquée pour choisir entre le voussoiement et le tutoiement en voulant ramener au calme un Nicolas Sarkozy hors de ses gongs. L'image de sa blonde collègue ne pouvant contenir son fou rire, que le réalisateur ne put couper à temps, fit le tour du monde à la vitesse de l'internet…
L'opération de curetage des médias qui suivit fut finement, mais respectueusement, analysée par l'insubmersible Laurent Joffrin dans ses éditoriaux du Figaro, et par l'incontournable Bernard-Henri Lévy dans son bloc-note hébergé sur une pleine page de Charlie Hebdo (alors que Philippe Val, à la fois directeur de publication, rédacteur en chef et responsable de la machine à café, se contentait de remplir poussivement ses deux colonnes).
Seul le Contre-Libé, né sur les ruines du journal Libération en regroupant l'équipe du Contre-Journal et les rédactions régionales, osait dénoncer les dérives manifestes d'un pouvoir assez ivre pour croire les peuples impassibles.

Quelques semaines plus tard, l'hospitalisation du chef de l'Etat au Val de Grâce à la suite d'une rupture du tendon d'Achille dura plus longtemps que nécessaire. Les ironistes de tout poil prétendirent que l'accident était dû à l'effondrement d'une talonnette présidentielle en descendant l'escalier menant à la bibliothèque de l'Elysée. Les journalistes d'investigation et les commentateurs éclairés démentirent cette rumeur en rappelant que Nicolas Sarkozy n'avait jamais lu quoi que ce soit.
La réapparition publique de Nicolas Sarkozy étayé par deux cannes anglaises en fibre de carbone plaquées or, fut saluée par une spectaculaire remontée dans les sondages, alors que le train des réformes menées par un premier ministre de formule un mettait le pays au bord d'une grève générale toujours repoussée par des syndicats très satisfaits d'être parfois consultés.
Un spécialiste étasunien de paléoanatomie de la voûte plantaire, qui s'était rendu célèbre pour avoir reconstitué la démarche des premiers hominidés, analysa les premières vidéos accessibles sur YouTube et en conclut que le président ne pouvait pas avoir été opéré du tendon d'Achille.
Pendant ce temps, les tensions au sein de l'UMP atteignaient un point insoutenable et le PS cherchait toujours une raison de survivre...
Au cours de son intervention télévisée, enregistrée à l'Elysée et diffusée le 14 juillet, Nicolas Sarkozy apparut pâle et amaigri, les yeux éteints au fond d'orbites creusées et comme maquillées à la teinture d'iode.
Personne n'eut le loisir de commenter ses propos un peu pâteux: quinze jours plus tard, il avait disparu.
Son absence au dernier conseil des ministres fut "couverte" d'un communiqué laconique de Matignon expliquant le départ anticipé du président en vacances "pour raisons de santé". Mais il fut impossible de cacher longtemps la vérité: au terme d'une folle équipée autoroutière, Nicolas Sarkozy s'était retranché au fort de Brégançon et menaçait de se faire sauter avec la réserve de munitions.
Personne n'était en mesure d'évaluer l'état de ladite réserve: interrogé sur ce point, Jacques Chirac répondit qu'il pouvait donner un état descriptif très précis de la cave, mais qu'il ne s'était jamais intéressé aux munitions, n'étant pas consommateur... Valéry Giscard d'Estaing voulu donner des détails, mais aucun journaliste n'eut la patience d'attendre qu'il termine sa péroraison.
Les communiqués fermes et rassurants pleuvaient. La continuité de l'Etat était assurée. François Hollande demanda une réunion extraordinaire du Parlement. On laissa entendre que le forcené avait été depuis belle lurette dépossédé des codes de la force nucléaire française. François Hollande menaça de déposer une motion de censure.

Quand, après avoir passé une nuit entière à négocier avec son ami, Brice Hortefeux apparut, en bermuda et gilet pare-balles, tenant par la main un Nicolas Sarkozy échevelé, livide, noir de barbe, hirsute mais pas menaçant du tout (la camisole de force fut inutile), on tomba dans un imbroglio juridico-constitutionnel atterrant.
Jack Lang offrit ses services de spécialiste du Droit et de sauveur de la Patrie. Il fut aussi pitoyable que d'habitude.
Les élections confirmèrent la résistible progression de François Bayrou, le miraculé, qui l'emporta de deux voix, dont celle de Jack Lang.
Comme prévu, Jack Lang ne fut pas nommé premier ministre.

Avertissement:
"L'apparition (…) de personnages réels (…) ne signifie pas qu'ils ressemblent au portrait brossé dans cette nouvelle. L'auteur n'a pas le plaisir de les connaître personnellement et réserve par conséquent son jugement. Toutefois il les connaît en tant que héros de papier ou de l'écran, et il se contente de manipuler ce qui, par essence, n'est qu'une manipulation consentie par les manipulés."Manuel Vázquez Montalbán, préface à
Histoires de familles, 1987.
Traduction française par Alain Petre, Christian Bourgois Editeur, 1992.
PS1: Les photographies du petit bal sauvage, édition 2008, m'ont été aimablement prêtées par
Flo Py.
On y reconnaitra la fanfare anarcho-punk
Droit dans l'mur.
PS2: Puisque j'ai répondu à la question de
Kamisole, je peux la repasser à quelque ami(e)s bloguesques, assavoir:
Cochon Dingue,
JR,
Mademoiselle S.,
Flo Py et
Françoise.
A vous de jouer.